Essai, enquête romancée ou recueil d’articles inédits, le papa de Swann est l’objet d’un fascinant fétichisme littéraire.
Les fans de Proust sont dans la place. À quelques mois du centième anniversaire de la parution de Swann, ils squattent déjà les programmes des éditeurs. Si la commercialisation de T-shirts « Proust Forever » ou « Marcel, on t’aime » ne semble pas encore d’actualité, chacun y va de son hommage. Depuis septembre, trois ouvrages fêtant l’homme et son oeuvre sont parus. Comme si tout le monde voulait payer son tribut au papa de Swann. Et lui rendre un hommage éternel. Le moyen le plus sûr consiste à exhumer ses textes.
Preuve avec Le Mensuel retrouvé, un recueil regroupant une dizaine d’articles rédigés par Proust à 19 ans. Cette trouvaille parfaitement anecdotique, qui, pour se rendre publiable, est accompagnée d’une copieuse introduction, n’en dévoile pas moins les premiers pas littéraires, et donc émouvants, d’un monstre sacré. Le tout jeune critique s’y montre corrosif – éreintant par exemple des poèmes dont « le hiératisme baudelairien produit une note vraiment fâcheuse en 1891 ». Il fait preuve en revanche d’un enthousiasme illimité quand il s’agit de commenter la mode. Sachez ainsi que « le corsage est en pleine révolution » et « la mousseline de soie (…) toujours à l’ordre du jour ». Le court volume s’achève sur deux « tableaux » esquissant un paysage normand – futur Balbec – et une belle créature nommée Odette…
Autre motif d’adoration : le brillant plumitif, futur génie, a également sauvé des vies. C’est en tout cas la thèse de Proust contre la déchéance. Son auteur, Joseph Czapski, a survécu à l’enfer du goulag en 1940. Prisonnier parmi quatre cents autres soldats de l’armée polonaise, il raconte comment leur groupe survit grâce à une série de conférences sur la littérature française, afin de « défendre nos cerveaux de la rouille de l’inactivité ». Il dicte son essai sur Proust à partir de ces seuls souvenirs, disserte sur les soirées des Guermantes et la mort de Bergotte dans le réfectoire d’un couvent désaffecté et glacial de Sibérie, transformé en salle à manger pour les soldats. Une genèse bouleversante qui fait oublier le caractère très universitaire de ces Conférences au camp de Griazowietz.
Les plus proustolâtres se révèlent de fervents fétichistes. Cette manie – qui a ses limites, Proust ayant été locataire d’un petit appartement comptant peu d’objets – est fort bien illustrée dans La Manteau de Proust. Cette captivante enquête relate comment Jacques Guérin, collectionneur ayant fait fortune dans les parfums, a réussi à sauver les biens de l’écrivain après sa mort, cibles de la folie destructrice – et partiellement homophobe – de sa belle-soeur. Manuscrits brûlés (on s’étrangle), ouvrages dédicacés à Robert de Montesquiou, meubles expédiés à la salle des ventes, lettres et poèmes d’amour arrachés (on enrage encore) : le défi de notre collectionneur, retracé par la journaliste italienne Lorenza Foschini, consista à les sauver un à un de la destruction. Jusqu’au fameux manteau de Marcel. Abandonné par l’épouse de Robert Proust à un brocanteur, il se retrouve utilisé comme plaid pour les jambes les jours de pêche hivernaux. C’est ainsi qu’une « pelisse de fourrure », échappant de justesse à la ruine et aux poissons, devient la plus évocatrice et émouvante des reliques.
Emily Barnett
Le Mensuel retrouvé de Marcel Proust (Éditions des Busclats), 144 p., 15 €
Proust contre la déchéance de Joseph Czapski (Libretto), 96 p., 5 €
Le Manteau de Proust de Lorenza Foschini (Quai Voltaire), traduit de l’italien par Danièle Valin, 144 p., 15 €