Pour les jeunes actifs en mal de logement, le retour chez les parents prend un goût doux-amer, entre cocooning apaisant et prégnant constat d’échec.
Il n’y a pas d’âge pour retrouver le chemin de la maison familiale. Et un « accident de la vie » est si vite arrivé. En mai dernier, Sébastien, 33 ans, vivait encore avec son compagnon dans un 40 m2 à Corbeil-Essonnes, en région parisienne. Quand survient la rupture, il décide de retourner vivre chez ses parents, à quelques kilomètres de là. D’autant qu’il a une idée en tête : quitter son CDI de vendeur en électronique pour reprendre l’entreprise de distribution automatique de son père, proche de la retraite. Il touchera une allocation chômage de 900 euros. Mais l’entreprise, mal en point, ne sera pas rentable tout de suite. « Il faudrait que je monte à 1 500 euros par mois pour prendre un appartement », observe Sébastien. Le jeune entrepreneur l’admet volontiers : sa qualité de vie a augmenté depuis quelques mois. En économisant sur le loyer et le coût de la vie quotidienne, Sébastien a pu faire réparer sa voiture et s’offrir un nouvel ordinateur.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« C’est un peu frustrant, confie-t-il. J’ai parfois l’impression de ne pas être à 100 % autonome, alors que je l’ai été. Mais pour l’instant, ça me va. Si c’est pour survivre dans un studio, je préfère vivre chez mes parents. »
Avec le premier job vient normalement le temps de l’indépendance et du premier vrai « chez-soi ». Exit la chambre d’étudiant sous les toits, avec douche et WC sur le palier. Jeune actif recherche deux-pièces confortable, avec cuisine équipée et peut-être même un petit balcon. On ne connaît pas meilleur levier d’émancipation que le travail. Oui, mais si le job ne vient pas ? Et si le salaire n’est pas suffisant ? Entre la hausse des loyers, les frais d’entrée élevés (l’équivalent de trois mois de loyer) et l’exigence des propriétaires, 79 % des jeunes de 18 à 29 ans estiment qu’il est difficile pour eux de trouver un logement, d’après une récente enquête de l’institut CSA.
Moins aidés par leur famille et par l’État, à la fois sur les plans pratique et financier, et ne bénéficiant pas d’un parc locatif dédié comme les étudiants, les jeunes actifs se heurtent à une concurrence féroce, notamment dans les grandes villes. Selon l’étude du CSA, 43 % des sondés ont déjà envisagé de retourner vivre chez leurs parents ; 13 % ont sauté le pas. Une solution de secours qui concerne d’abord les chômeurs.
« Là, tu retournes à zéro »
Mathilde et Jildaz, 25 et 26 ans, ont vécu une année à Bordeaux avant de se résoudre à regagner la Bretagne, leur région d’origine. En septembre dernier, le contrat en alternance de Jildaz se termine, laissant le couple sans ressources.
« On s’est retrouvés tous les deux à chercher du boulot, raconte Mathilde. Avec ce constat : moi je ne trouverais pas sur Bordeaux, je cherchais depuis un an déjà dans la communication. Et Jildaz n’a pas trouvé non plus. On a décidé de chercher ailleurs, même si la région nous plaisait beaucoup… On voulait surtout éviter Paris. »
En attendant, ils ne peuvent plus assumer le loyer de leur 36 m2, qui s’élève à 600 euros. Résignés, les jeunes amoureux font leurs cartons, disent adieu au nid douillet, dispersent leurs meubles chez les copains bordelais et posent les valises chez leur maman respective.
« C’est une petite séparation, mine de rien », souligne Mathilde. La brunette sourit, avant de confier : « Ça faisait cinq ans que je n’étais plus chez moi. Le retour est sympathique : en période de chômage, c’est agréable de se faire un peu cocooner. Et en même temps, c’est la confirmation d’un échec côté recherche d’emploi. En couple dans un appartement, j’avais quand même cette réussite de vie personnelle. Là, tu retournes à zéro. »
Souvent ravis de materner à nouveau, les parents ont parfois tendance à infantiliser leurs rejetons devenus adultes. « Ma mère m’appelle sans arrêt, alors qu’elle ne le faisait plus… ajoute Mathilde. ‘Tu sors quand ? À quelle heure ?’ On retourne dans le schéma du lycée ou des premières années d’études. Ça devient pesant. » Elle reprend, songeuse : « En même temps, c’est rassurant. Ma mère ne me fout pas dehors. Ça reste une chance quand même, on n’est pas à la rue… »
Même constat pour Aurore, 27 ans, qui a réintégré l’appartement maternel trois semaines plus tôt. « Je ne vais pas me plaindre, j’aurais eu un gros problème de logement si maman n’avait pas pu me récupérer. » Installée à Marseille, où elle travaillait dans une association culturelle, la jeune femme a quitté la région quatre mois après la fin de son contrat. « J’avais fait le tour niveau recherche d’emploi, il n’y avait rien pour moi. »
Manque d’intimité
Difficile aussi de tenir avec 880 euros par mois, quand la moitié du budget part dans le loyer : prendre un appartement maintenant, « ce serait de l’argent foutu en l’air ». Elle aussi apprécie le confort du cocon parental :
« On se pose dans un endroit où on se sent bien pour réfléchir, sans avoir le stress de la fin du mois. On est plus serein pour la recherche d’emploi. »
Seule ombre au tableau : le manque d’intimité, qui commence à peser sérieusement sur le quotidien de Mathilde : « Moi, j’ai des murs en carton, lui c’est pareil. Ma mère est souvent absente le week-end, donc Jildaz vient chez moi, on est plus tranquilles… » Jildaz a finalement décroché un poste de chargé de patrimoine à la BNP. À Paris. Tant pis, un CDI, ça ne se refuse pas. Reste quand même « le sentiment que tout son salaire va passer dans un loyer ». Et l’angoisse de ne pas trouver de logement. Avec un RSA et un salaire de 1 800 euros, le dossier du couple risque de faire tiquer les propriétaires. Sans économies, Mathilde et Jildaz envisagent de souscrire un crédit pour couvrir les frais d’installation. Entre le premier mois de loyer, la caution et les frais d’agence, ne devient pas locataire qui veut.
Dégoter un deux-pièces, le graal du jeune actif
En région parisienne plus qu’ailleurs, dégoter un deux-pièces est devenu le graal du jeune actif, la gageure qui suit celle du premier emploi. Journaliste dans une société de production audiovisuelle, Claire aimerait, à 24 ans, quitter enfin la maison familiale. Elle cherche un appartement dans Paris depuis août mais se heurte aux exigences des propriétaires qui lui demandent de gagner trois fois le montant du loyer. Avec un salaire de 1 400 euros, elle ne peut pas viser de loyers supérieurs à 500 euros par mois. « À ce prix-là, on ne trouve que des chambres de bonne. Et je n’ai pas envie de partir pour un trou à rat. » Pour couronner le tout, Claire est désavantagée par son statut de pigiste salariée au mois. Pour l’heure, elle n’a pas pu visiter le moindre appartement. « Quand j’appelle, on me demande d’expliquer ma situation et ça bloque tout de suite. »
En attendant, Claire passe des heures dans les transports, entre le VIIIe arrondissement, où elle travaille, et la maison de ses parents, située près d’Orly.
« Le matin, je pars à 8 h 30, pour commencer à 10 heures. Le soir, j’arrive chez moi à 21 h 30. Si je veux sortir, je dois m’arranger pour dormir chez des amis. Mais ça se passe bien chez moi, je m’entends avec tout le monde. C’est juste que t’avances partout, dans ton boulot, dans ta vie privée… sauf là-dessus, c’est énervant! »
La jeune femme profite d’être à l’abri chez ses parents pour économiser. Avec l’objectif d’acheter, un jour, l’appartement de ses rêves.
Anne Royer
Article paru dans le numéro 888 des Inrockuptibles disponible en kiosque et en ligne ici
{"type":"Banniere-Basse"}