A la faveur du numéro juillet-août de “Positif“, on se souvient de l’audace, de la modernité sans cesse réinventée et de l’érudition d’Alain Resnais.
Alain Resnais fait partie de ces quelques cinéastes dont on peut dire sans risque de se tromper qu’ils marquent une rupture, “un avant et un après”, comme l’écrit Floreal Peleato à propos des quinze premières minutes d’Hiroshima mon amour (1959), “parmi les plus déterminantes de l’histoire du cinéma français” (Positif, juillet-août, 10 euros).
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Chez Resnais, le plus extraordinaire reste qu’il a inventé plusieurs ruptures décisives en plus de soixante ans de cinéma : Nuit et brouillard et Hiroshima, Muriel et Providence, Mon oncle d’Amérique et On connaît la chanson – la liste peut encore s’allonger au gré des goûts et des humeurs de chacun.
Chez les modernes d’après-guerre, Bresson, Rossellini, Bergman, Antonioni, Tati, Godard, Kubrick, Oliveira et Kiarostami peuvent en dire autant, fermez le ban. En lisant ce copieux et passionnant ensemble de Positif, un an après la mort du grand expérimentateur (le 1er mars 2014), en passant d’une étude à un témoignage, on se dit qu’il y avait une véritable folie Resnais, une géniale cinglerie qui consistait à croire que le cinéma peut parfaitement être un instrument de pensée et un spectacle du samedi soir, un laboratoire et une scène, indissolublement liés.
Comme si Philippe Garrel embauchait Franck Dubosc
Croyance partagée et mise en œuvre par les plus grands, bien sûr, mais poussée chez Resnais à un point qui frisait le délire, donc le sublime. C’est ainsi que ce diable d’homme a imbibé Mon oncle d’Amérique des théories du neurobiologiste Henri Laborit, il fallait déjà penser à en faire un film…, et qu’il les a incarnées avec le concours de Roger Pierre, du duo comique Roger Pierre et Jean-Marc Thibault, un comédien qui s’était plutôt illustré dans Les malabars sont au parfum et autres Faites donc plaisir aux amis… Comme si Philippe Garrel embauchait Franck Dubosc, j’exagère à peine, et que celui-ci accepte avec gratitude !
Resnais faisait cela tout naturellement et s’étonnait qu’on puisse s’en étonner, sans une once de snobisme ou de théorie quant au décalage ou autres billevesées. Dans Positif, Sabine Azéma raconte que cet autodidacte gorgé de surréalisme, érudit des cultures populaires et grand utilisateur des auteurs des Editions de Minuit, raffolait de Claude François : “Alain était quelqu’un qui savait admirer. Non seulement admirer, mais aimer. Sans aucun préjugé.”
Tentatives d’extension du champ du cinéma
Et c’est ainsi que chaque nouveau film devenait une tentative d’extension du champ du cinéma, à la fois aventureuse et maîtrisée, mais toujours terriblement risquée, presque casse-cou. D’où les projets avortés, les périodes de silence forcé et parfois, l’incompréhension du public ou de la critique.
Mais quand ça marchait, ça marchait fort, et la rencontre des méduses et de Michel Berger donnera On connaît la chanson, essai sur l’inconscient collectif et assez incroyable triomphe commercial, le type de miracle dont lui seul était capable.
C’est à cette occasion que je l’ai rencontré, interviewé en compagnie de Christian Fevret, et que je me suis couvert de honte en lui demandant pourquoi il ne s’attaquait plus à de grands sujets politiques. Alors le cinéaste de l’anticolonialisme, des camps, d’Hiroshima, des guerres d’Espagne et d’Algérie, sans oublier l’Occupation, tout le siècle à bras-le-corps, comme révélé par le cinéma, m’a souri gentiment et a répondu que bien sûr, si un film politique se présentait à lui, par le plus grand des hasards, il s’en voudrait beaucoup de le laisser filer.
C’était Alain Resnais.
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