On peut voyager en Angleterre sans quitter la France. La preuve avec un chapitre culte d’“A rebours” de Huysmans.
En ferry – comme Jane Birkin –, en Eurostar ou même à la nage : on peut se rendre en Angleterre par divers moyens. On peut aussi s’y transporter par l’esprit. Il suffit de prendre exemple sur Des Esseintes, le héros d’A rebours de J.-K. Huysmans, auteur fin XIXe remis au goût du jour par Michel Houellebecq avec Soumission. Dans ce chef-d’œuvre du décadentisme, Des Esseintes, enfermé dans sa maison de Fontenay-aux-Roses, tente de fuir le spleen en s’abîmant dans la contemplation de tableaux de Gustave Moreau ou devant sa tortue incrustée de pierres précieuses. Un jour, l’esthète mélancolique décide d’aller en Angleterre. Il n’ira jamais au-delà de la gare Saint-Lazare.
Pour lui, la pluie qui tombe sur Paris est “déjà un acompte de l’Angleterre”. Dans un bar, “devant la pourpre des Porto remplissant les verres”, les voix des clients anglais lui évoquent les “créatures de Dickens”. Avec quelques pintes d’ale, l’illusion devient totale dans une taverne rue d’Amsterdam. “A quoi bon bouger quand on peut voyager si merveilleusement sur une chaise ?”, conclut Des Esseintes, “onaniste spirituel” dont les lectures nourrissent les visions et les fantasmes, comme Don Quichotte ou Emma Bovary dont il est un lointain cousin. Ce non-départ recèle l’essence même d’A rebours, roman immobile et somptueux voyage au bout de l’ennui.
J.-K. Huysmans A rebours (Folio), 430 pages, 8 €