Groupe énigmatique, à l’univers noir parcouru d’allusions salaces nourries par la littérature underground (leur nom, déjà, est celui d’un godemiché dans Le Festin nu de William Burroughs), Steely Dan est aussi connu du grand public pour ses mélodies solaires et le son West-Coast très flatteur de ses productions pointilleuses. Là aussi, on peut s’amuser du paradoxe […]
Le bassiste, guitariste, chanteur et auteur-compositeur Walter Becker avait cofondé, en 1971, le groupe Steely Dan, avec Donald Fagen. Il est mort ce 3 septembre à 67 ans.
Nous republions cet article paru en 2000, pour redécouvrir le style Steely Dan par sa discographie.
Groupe énigmatique, à l’univers noir parcouru d’allusions salaces nourries par la littérature underground (leur nom, déjà, est celui d’un godemiché dans Le Festin nu de William Burroughs), Steely Dan est aussi connu du grand public pour ses mélodies solaires et le son West-Coast très flatteur de ses productions pointilleuses. Là aussi, on peut s’amuser du paradoxe qui veut que l’un des plus fameux groupes « californiens » des seventies ait vu le jour dans la banlieue de New York, exportant ensuite sur l’autre rive la sulfureuse sous-culture locale et passant pour une sale bande d’agitateurs au pays des surfeurs.
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Autre fait curieux: bien que marqué au fer rouge comme représentant ultime du son A.O.R (Adult oriented rock, insulte américaine signifiant « vieux pourris à barbes invités dans les fêtes de Barbra Streisand »), Steely Dan a toujours suscité intérêt et admiration chez les orfèvres de la pop internationale, de Prefab Sprout à XTC en passant par Deacon Blue (qui tient son nom d’une des chansons de l’album Aja) ou Ben Folds Five. La bande originale de Fou d’Irène, d’ailleurs, contient plusieurs reprises de Steely Dan par certaines fines lames d’aujourd’hui.
Can’t buy a thrill (1972)
Même si Fagen et Becker avaient déjà publié quelques morceaux sans grande envergure, les choses sérieuses commencent avec cet album dont l’intro du morceau d’ouverture, l’épique Do it again et son vibraphone en forme de serpentin, suffira à propulser du jour au lendemain Steely Dan au devant de la scène internationale. La pochette post-hippie et le calibre relativement sage des compositions laisse toutefois entrevoir déjà la nature tordue et perverse des deux cerveaux, dont les intentions paraissent pourtant encore un peu floue.
En écoute : Do it again
Countown to ectasy (1973)
Encore sonnés par le succès planétaire du précédent, Fagen et Becker posent en vitesse les bases qu’ils entendent désormais développer, à savoir un son panoramique en trompe l’œil qui peut se confondre de loin avec celui des Eagles et autres rustauds de l’époque et dont la finesse n’apparaît que lorsqu’on s’attache aux détails. Magiciens des studios mais aussi praticiens littéraires de haut vol, ils sont le ver de la Grosse Pomme lâché parmi la myriade d’étoiles d’Hollywood Boulevard. Combien de beaufs californiens ont acheté cet album sans se douter qu’il y était surtout question de putes (Pearl of the quarter), de défonce et de critique narquoise du rêve américain ?
En écoute : Pearl of the Quarter
https://www.youtube.com/watch?v=_GM8vnIZFw0
Pretzel Logic (1974)
Si, plus tard, Aja servira de sésame à Steely Dan pour pénétrer dans quasiment tous les palmarès de la décennie, Pretzel logic est avec le recul son premier chef-d’ uvre incontestable, celui que l’on n’hésite pas à ranger aux côtés des Pet Sounds et autre Revolver dès qu’il s’agit de boucler ses valises pour une île déserte (cf le Dico du rock de Michka Assayas et le brillant plaidoyer de Philippe Auclair en faveur de cet album). Il s’agit, pour la première fois chez Steely Dan, d’une uvre maîtrisée d’un bout à l’autre dont la vision d’ensemble égale la qualité individuelle des chansons.
En écoute : Rikki don’t lose that number
Katy lied (1975)
Parvenus au milieu de la décennie, Fagen et Baker laissent aller plus franchement leurs penchants naturels pour le jazz (à la limite du jazz-rock, ce qui n’est pas forcément un progrès). Lassés des tournées et de la vie sur la route, ils deviennent progressivement une entité immatérielle ne trouvant sa vérité qu’en studio et faisant appel désormais à des musiciens de sessions. Album de transition, un peu ingrat et désincarné, Katy lied se révèle un cru mineur en dépit des ambitions affichées.
En écoute : Bad Sneakers
The Royal scam (1976)
La tortueuse majesté qui caractérise le son faussement poli sculpté par les deux chirurgiens esthètes prend une nouvelle dimension sur cet album où ils n’hésitent pas à incorporer des instruments exotiques et des influences reggae tout en les tamisant avec le filtre maison, celui grâce auquel un morceau de Steely Dan se reconnaît dès les premières mesures. Néanmoins, malgré les morceaux de bravoure que sont Kid Charlemagne et Haitian divorce, ce disque n’a pas la grâce de Pretzel logic ni la grandeur de son successeur.
En écoute : Haitian Divorce
Aja (1977)
Ceux qui pensent que les Sex Pistols et les Clash ont raflé la mise en 77 feraient bien de réviser leurs chiffres et de raviser leurs certitudes : Aja constitue à la fois un sommet artistique et commercial pour Steely Dan, ainsi qu’un contrepoint exact à toute la logorrhée punk. Des titres à rallonge et une instrumentation virtuose (avec le saxophone de Wayne Shorter en invité fantomatique) à côté desquels il était conseillé de passer en courant à l’époque mais auquel le temps a depuis largement rendu grâce. L’un des classiques de l’histoire de la pop, sournois et enivrant.
En écoute : Peg
Gaucho (1980)
L’impeccable métronome qui pondait invariablement un album tous les ans s’est brutalement grippé et il a fallu trois années à Steely Dan pour terminer cet opus dont la gestation fut accidentée et maintes fois interrompue. A l’arrivée, l’album est le plus abordable et chatoyant du duo même s’il trahit des signes de lassitude évidents. Il lui apportera en outre un dernier hit au groove infectieux (Hey nineteen) et fait encore aujourd’hui la joie des testeurs de chaînes hi-fi.
En écoute : Hey Nineteen
Two against nature Giant/BMG (2000)
Après l’accouchement difficile de Gaucho et une série de traumatismes personnels, Becker et Fagen ont décidé de mettre leurs activités en sommeil pour lézarder sur leur matelas de dollars, soigner leur addiction à l’héroïne et entreprendre des disques solos aux fortunes diverses (The Nightfly de Fagen, en 82, survole le lot). Vingt ans après, comme chez Lelouch, on les retrouve en l’état, un peu ratatinés mais nullement étouffés par l’air du temps auquel ils ne cèdent rien, creusant leur propre sillon sur un disque vaporeux, légèrement pantouflard mais aux fulgurances nombreuses, notamment sur le magnifique Almost gothic.
En écoute : Almost Gothic
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