Enfin distribué ici, le premier album du New-Yorkais CHRIS GARNEAU révèle les talents d’un subtil bâtisseur de petites cathédrales pop.
Chris Garneau vient d’entrer dans la pièce où l’on recueillera bientôt ses paroles, et déjà sa ressemblance avec Sufjan Stevens saute aux yeux : même visage ovale, même teint juvénile, mêmes yeux de poupée, même mélange de douceur et de détermination dans l’expression. Seule sa modeste taille, qui lui donne l’allure d’un jeune homme à peine sorti de l’adolescence, le distingue de son aîné. Voilà qui donne du grain à moudre à ceux qui le dépeignent comme une réplique fidèle, mais en modèle réduit, de l’auteur de Michigan (2003) et d’Illinoise (2005).
Dans son premier album, Music for Tourists, comme dans le ep C-Sides sorti ces jours-ci par le label Fargo, Garneau semble effectivement s’être placé sous le magistère esthétique de Stevens : derrière son piano, qu’il pétrit tendrement, ce New-Yorkais de 25 ans dépose sa voix frémissante sur des compositions dont la pâte mélodique finement levée, saupoudrée d’arrangements pour violoncelle, cor d’harmonie, orgue, mélodica, harmonium ou glockenspiel, rappelle les plus subtiles recettes du maître-queux de Chicago.
Pour autant, il serait injuste de ne voir en Garneau qu’un simple suiveur. Et il serait plus pertinent de le présenter comme le descendant d’une lignée composite de musiciens qui, de Randy Newman à Joanna Newsom en passant par Nina Simone ou Jeff Buckley, ont considéré le songwriting comme un point de rencontre entre les genres, un vaste creuset apte à recevoir la plus large gamme d’influences : une sorte de pendant sonore de la société pluri-identitaire américaine. “J’accepte qu’on m’inscrive dans cet héritage, approuve Garneau. Il constitue pour moi un socle à la fois solide et ouvert, sur lequel je peux construire une musique qui n’est pas faite d’un seul bloc. On trouve dans mes chansons des réminiscences baroques, de purs accents pop ou encore des allusions plus subliminales au rock épique. J’ai mis des années à trouver un langage qui parvienne à fondre tous ces éléments. J’ai longtemps eu l’impression désastreuse de faire une musique qui n’avait pas de sens ni de cohérence.”
Avec Music for Tourists, réalisé après quatre ans de maturation et deux ans d’enregistrements au compte-gouttes, Garneau aura appris que le temps et l’expérience étaient les meilleurs outils pour sculpter et raffiner la matière musicale. Chaperonné par le songwriter Duncan Sheik, qui lui a ouvert les portes de son studio et a supervisé la production, cet amateur d’orchestrations polychromes a aussi su résister à l’appel de la pompe sonore et se recentrer sur une formule acoustique nettement plus resserrée. “J’étais parti sur des idées de production ambitieuses, avec un ensemble de cordes, une chorale… Mais Duncan tenait à ce que le disque restitue l’ambiance de mes concerts, où je n’étais accompagné que d’un violoncelle. Il m’a fallu du temps pour ramener mes chansons à leur essence, à leur dimension organique.”
Atteignant son paroxysme sur une reprise du Between the Bars d’Elliott Smith, qui a la grâce d’un battement d’ailes de papillon, la radicale fragilité des chansons de Music for Tourists donne du piment à une musique qu’une écoute cursive pourrait ranger dans la catégorie des bluettes. En équilibre sur ce fil très ténu qui sépare le lyrisme nu de la pure sensiblerie, le chant tremblant de Garneau accomplit des figures funambules qui trahissent un caractère entier et courageux : ce garçon aux airs d’enfant de chœur possède une force intérieure qui, dans un proche avenir, pourrait en surprendre et en étourdir plus d’un.
“On m’a beaucoup reproché de céder au maniérisme. Je peux entendre cette critique, mais j’estime que les chansons de Music for Tourists, qui ont la naïveté de la jeunesse, ont leur raison d’être : leur honnêteté ne peut être mise en doute. Je veux continuer dans cette voie, en donnant plus d’intensité encore à ce que je chante.”