A Sérignan, l’artiste portugais Francisco Tropa propose un carottage du monde et de ses strates culturelles dans une expo-fiction vertigineuse.
A peine entrevu le titre de l’exposition, TSAE, pour “Trésors submergés de l’ancienne Egypte”, surgissent dans l’esprit du visiteur quantité d’échos plus ou moins justifiés. Convoquant tour à tour les pharaons et les sarcophages des cours d’histoire autant que des souvenirs de Jules Verne ou, dans un télescopage proprement contemporain et une confusion spatiotemporelle inavouée, les récentes attaques vandales de Daech au cœur du musée de Mossoul ou de la cité antique de Palmyre, on est d’emblée assiégé par une foule de marqueurs culturels et historiques.
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Si bien qu’il nous faudra un certain temps pour “désapprendre” et se défaire de ces images-écrans et se plonger tête baissée dans le projet vertigineux de l’artiste portugais Francisco Tropa. Ce dernier, amusé, commence ainsi la visite : “Je vais vous raconter une histoire.” Tout en apportant par la suite suffisamment de preuves pour certifier l’authenticité du scénario qui se déploie sous nos yeux.
Mais reprenons du début : ce que vous voyez ici, comme l’indiquent les cinq sérigraphies aux couleurs primaires qui nous accueillent dès l’entrée de l’exposition, est le résultat d’une expédition archéologique. Trois sites (“Partie submergée”, “Chambre violée” et “Terra platonica”) ont déjà fait l’objet de fouilles qui, dans les précédents chapitres, ont permis l’excavation d’une constellation de reliques.
Un nouveau système spatiotemporel
L’exposition, ou plutôt la restitution, qui se déplie dans la grande salle du musée de Sérignan rend compte de l’ultime étape de cette exploration : celle d’un puits découvert dans les tréfonds de la croûte terrestre. Or ce puits renferme, nous dit Tropa, la clé du mystère. L’avènement, en vase clos, d’un nouveau système spatiotemporel qui se traduirait sous la forme d’une bulle de savon en lévitation, et dont une petite armée d’objets contraires baptisés “antipodes” constitueraient les instruments de navigation.
Embarquement immédiat. De part et d’autres de cette “allégorie de la caverne” grandeur nature, deux bulles en verre suspendues et éclairées par une lumière filtrée par une pierre d’agate représentent l’enfer et le purgatoire.
Au centre, un système solaire mécanisé (Tropa sort d’une résidence à l’atelier Calder, auquel il emprunte le modèle du mobile) est cerné par des objets posés au sol, les fameux “antipodes” mentionnés plus tôt, qui se répondent deux par deux. Objets de mesure pour la plupart, en bois, marbre ou verre, ils donnent l’illusion (nous sommes dans la caverne, n’oubliez pas) d’une certaine rationalité fondée sur une logique binaire (envers/endroit, chaud/froid, léger/lourd).
Un continuum antique plutôt qu’une rupture
Plus loin, un viseur (plus précisément un téléviseur, lui-même emprisonné dans un sarcophage en Plexiglas transparent) indique la direction à suivre. Sauf que lui aussi est un leurre. Intitulé L’Influence américaine, ce “cube dans le cube dans le cube” contient une archive filmée des années 60 qui documente sur un mode ethnographique la fabrication d’une boîte parfaite par le chef d’une tribu amérindienne.
Cette forme qui se crée à l’écran et qui pourrait, au vu de son titre, renvoyer au minimalisme américain et à des artistes comme Donald Judd par exemple, témoigne au contraire d’une pratique et d’un répertoire de formes bien antérieur, d’un continuum antique en quelque sorte, plutôt que d’une rupture.
“Le bruit sur les choses nous empêche de lire ce qui est archaïque et persiste depuis la nuit des temps”, commente sobrement Tropa. Car ce qui est à l’œuvre dans la grande fiction plausible que cet artiste érudit, qui lorgne du côté de Roussel comme de Cicéron, Borges ou Platon, développe depuis 2008, ressemble fort à une démonstration d’universalité.
Une redensification du monde
Avec un répertoire de formes finalement très simple, qui emprunte à la géométrisation du monde, Tropa désenfouit, autant qu’il complexifie, la logique du monde des formes et des images. Chez lui, chaque objet est tout à la fois une monade et sa réplique, l’original et sa copie – ou son héritier –, comme en témoignent les galets et leurs doubles, en bronze, présentés sur un tapis de jeu mallarméen dans la dernière salle de l’exposition.
“C’est un processus archéologique inversé”, commente encore Tropa devant une dernière série de douze sérigraphies vert pâle dont l’image se compose au fur et à mesure que les couches se superposent, “je cache plus que je ne découvre”. Comme si cette redensification du monde permettait paradoxalement d’en percevoir l’harmonie, les lignes de force et les filiations. Que seul le geste iconoclaste des barbares pourrait venir interrompre.
TSAE (Trésors submergés de l’ancienne Egypte) jusqu’au 30 août au musée régional d’Art contemporain Languedoc-Roussillon, Sérignan, mrac.languedocroussillon.fr
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