Longtemps underground, toujours chercheur, le rap d’Atmosphere brille enfin au sommet.
Pas fréquent de voir un groupe de rap remercier Tom Waits dans ses crédits (il “joue de la boîte à rythmes” sur The Waitress). Cela dit, on a eu le temps de s’en rendre compte en six albums aussi réformistes que mystérieusement méconnus ici, Atmosphere n’est pas un groupe de rap fréquent.
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Capables d’enregistrer aussi bien pour le collectif jusqu’au-boutiste Anticon de San Francisco que pour le mastodonte punk Epitath, le rappeur Slug et le producteur/ DJ Ant hantent ainsi depuis quinze ans les bas-côtés, voire les égouts du hip-hop underground américain, farouchement indépendants par éthique et par hygiène.
Toutes les majors ont tenté, à un moment ou à un autre, de s’acheter les services de ce prodigieux tandem, aussi radical que nonchalant, capable d’envisager la révolution et une sieste ou une fiesta dans la même chanson. Il y a quelques années, quand on s’étonnait de sa signature avec Epitath, Slug nous répondait que cet argent servirait à monter un magasin de disques dans sa banlieue de Minneapolis, et de développer son propre label.
Des ambitions militantes, qui privilégieront toujours un infatigable gang-bang entre les genres au bling-bling, le cinglant au clinquant : normal pour un groupe plus connu pour ses humeurs que pour ses Hummer.
Aux Etats-Unis, ces valeurs primitives du rap, largement bafouées par la démission, la servilité, par le manque de conscience et la navrante consanguinité des mastodontes (pourquoi ce besoin imbécile de systématiquement s’inviter les uns les autres, sur des albums qui se ressemblent fatalement tous à l’arrivée ?), ont longtemps été raillées par les parvenus triomphants qui les montraient de leurs doigts bagouzés de gros prouts.
Sauf que là, miracle : ce nouvel album s’est offert la cinquième place des charts nationaux et, surtout, loin des productions vulgaires à la chaîne, la première place des charts hip-hop. Charts hip-hop ? Douce ironie. Pas certain que When Life Gives You Lemons, You Paint That Shit Gold y possède beaucoup d’amis, de complices, de frères, tant ce hip-hop s’est affranchi au fil des ans des tics et des dogmes, laissant l’époque venir à lui plutôt que de la draguer à grands renforts d’idées biodégradables.
Ce triomphe est encore plus jouissif quand on constate à quel point le duo, devenu véritable groupe live depuis 2005, a encore élargi son champ lexical, s’ouvrant nettement une étrange electro 80’s (Prince, après tout, vient aussi de Minneapolis), passant d’une soul rêveuse à un groove poisseux, d’un rap laidback et aguicheur à un genre de folk-hop-hobo futuriste et anxieux.
Une richesse et une sophistication qui contrastent encore et toujours avec les nouvelles perçantes, glaçantes d’Ant, observateur sans pitié d’un monde de moins en moins vu à travers son seul nombril – un trou noir. “Je tente de trouver mon équilibre”, chantait-il il y a cinq ans sur son immortel Trying to Find a Balance. Entre luxe et chaos, élégance et barbarie, il l’a enfin trouvé ici.
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