Avec la large victoire du « non », les Grecs ont exprimé leur refus de poursuivre le plan d’austérité européen. Mais les négociations entre le gouvernement et ses créanciers se prolongent, rapprochant toujours plus le pays du chaos financier. Alors que les banques sont fermées depuis une semaine et que l’État a fait défaut au remboursement d’un prêt d’un milliard et demi d’euros du FMI, le débat sur la création d’une monnaie alternative est relancé.
A peine le « non » vient-il de l’emporter – 61% des voix – que déjà les spéculations abondent autour de l’apparition d’une nouvelle monnaie hellénique. L’idée que les Grecs adopteraient un nouvel intermédiaire des échanges, de la même forme que l' »IOU » – « I owe you », « je vous dois » en français – se passerait presque de conditionnel. « On aurait dû le faire il y a des semaines », a déclaré le ministre démissionnaire Yanis Varoufakis.
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Cette monnaie, créée en Californie à la suite de la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008, consiste en une reconnaissance de dette, assurée par le Trésor public. Si certains y voient une solution miracle à tous les maux de la Grèce, d’autres estiment que ce débat autour de la monnaie profite au scénario du Grexit, une sortie de la Grèce de la zone euro.
La perspective d’une sortie de la zone euro, moins catastrophique
Dans une tribune intitulée « L’euro-drachme, un ballon d’oxygène », publiée en mars dernier dans Libération, Thomas Coutrot, membre du conseil scientifique d’Attac, Wojtek Kalinowski, codirecteur de l’Institut Veblen, et Bruno Théret, directeur de recherche émérite au CNRS, vantent les mérites d’une monnaie parallèle.
Après les échecs successifs dans les négociations entre la Grèce et ses créanciers de la Troïka, les trois économistes estiment que le gouvernement d’Alexis Tsipras est poussé vers un choix binaire : celui de « la poursuite des politiques actuelle », ou celui d’« une sortie, volontaire ou involontaire, de la zone euro« .
Reprenant les exemples de monnaies alternatives déployées en Amérique latine, ces économistes perçoivent ce qu’ils appellent l' »euro-drachme » comme une « troisième voie » crédible pour sortir la Grèce de la crise. Ils vont même jusqu’à promouvoir ce système comme une solution à au défi fondamental de la Grèce : sa dette publique.
« L’adoption [de l’euro-drachme] changerait le rapport de forces entre la Grèce et ses créanciers et, en rendant la perspective de sortie de la zone euro moins catastrophique pour elle, ouvrirait l’espace de négociation pour un éventuel effacement partiel et/ou des conversions de dettes. »
Le risque d’une hausse continuelle des prix
D’autres, à l’image du chef économiste de la banque Berenberg, l’Allemand Holger Schmieding, estiment que cette option n’est pas viable. Pour qu’une monnaie remplisse ses fonctions, il faut que les individus aient confiance en elle.
Dans l’idéal, la valeur de cette nouvelle monnaie serait fixée à parité avec l’euro. Ainsi, un retraité qui toucherait 500 € par mois, recevrait 500 unités d’euro-drachme ou d’IOU. Le plus compliqué reste qu’elle garde sa valeur lors des échanges. Par exemple, un commerçant, méfiant de cette monnaie parallèle, pourrait demander des montants plus élevés pour un même produit, de sorte à limiter ses risques de perte. S’instaurerait un phénomène « d’inflation galopante » où les produits deviendraient toujours plus chers, jusqu’à ce que la monnaie s’effondre.
Thomas Coutrot, Wojtek Kalinowski, et Bruno Théret admettent que la réussite de cette stratégie « dépend de la capacité du gouvernement à construire la confiance dans la valeur monétaire du nouvel instrument ». Pour eux, la large victoire de Syriza lors des dernières élections constitue une bonne base pour bâtir cette confiance.
« Le vrai débat c’est de savoir sur quelles bases les négociations repartent »
Pour l’économiste Jézabel Couppey-Soubeyran, professeur à Paris-I et spécialiste de l’économie monétaire, ce débat n’est qu’une « réaction » au résultat du référendum d’hier, et joue un rôle de diversion, qui sert les partisans de l’austérité.
« Le vrai débat, ce n’est pas l’adoption d’une monnaie alternative, mais plutôt de savoir sur quelles bases repartent les négociations entre la Grèce et ses créanciers. »
Parler d’un retour au drachme ou l’émission d’une monnaie transitoire est prématuré car, tant que la Grèce reste membre de la zone euro, elle ne peut être privée de l’euro. Participer à cette spéculation autour de la monnaie revient à encourager implicitement le Grexit.
« Si la seule solution c’est la sortie de la Grèce, cela mettra en évidence les défaillances de gouvernance au sein de la zone euro. L’ensemble des pays concernés seront beaucoup plus fragiles, et la probabilité d’un éclatement de la zone euro sera plus forte. »
Pour elle, le « non » au plan d’aide proposé par la Troïka est « une chance pour les peuples européens de faire bouger les lignes ». Désormais les négociations entre la Grèce et l’Eurogroupe repartent sur de nouvelles bases. La posture qu’adoptera ce dernier est crucial.
Athènes devrait présenter une nouvelle série de réformes à la zone euro d’ici demain. En attendant, le gouvernement a prolongé la fermeture des banques, actée depuis l’annonce du référendum la semaine passée. Jézabel Couppey-Soubeyran espère que les négociateurs vont « trouver une solution solidaire, pour être digne de la construction européenne ».
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