Un adulescent pré-quadra affronte la disparition d’un père haut en couleur. Une comédie à l’arrière goût de spleen.
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Age difficile obscur était le premier long métrage du clippeur et graphiste Mike Mills (repéré par ses travaux avec Air, Moby…). Le film était sorti dans une relative confidentialité ; ceux qui l’ont vu ont pu être touchés cependant par son climat d’élégante ballade sur les palpitations d’un ado en mal de vivre.
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Le titre français était aussi obscur que l’âge difficile en question – les trois mots apposés formant l’acronyme A.D.O. On pouvait lui préférer le titre anglais Thumbsucker, indiquant que le personnage central, pourtant âgé de 17 ans, suçait encore son pouce.
Oliver, le personnage principal de Beginners, ne suce plus son pouce. Il n’a plus 17 ans. Mais comme le héros d’A.D.O., quelque chose ne coïncide pas entre son âge réel et celui qu’il a dans sa tête. Aux abords de la quarantaine, il vit encore comme un tout jeune homme, à l’orée de sa vie d’adulte.
L’essentiel de son énergie passe dans son travail (il est cinéaste et graphiste). Son activité professionnelle est la seule chose stable qu’il ait construite. Sinon pas de vie de couple, pas d’enfants.
Le film l’attrape au bord d’une petite révolution : l’agonie de son père et la rencontre avec une jeune fille française provoquent en lui une tardive crise de croissance. Simultanément, il faut apprendre à ne plus être un fils et à ne plus vivre que pour soi.
Avant même que ne se déclare la maladie qui va l’emporter, le père d’Oliver s’est mis à occuper dans la vie de celui-là une place plus importante que prévu par la grâce d’une révélation : le père d’Oliver a toujours été homosexuel, le couple qu’il formait avec sa femme reposait sur un secret.
Mike Mills, qui ne cache pas la dimension autobiographique de ce récit, filme avec beaucoup de finesse cet effondrement tranquille. Oliver reste un fils prévenant, gay-friendly, ne juge absolument pas la vie sexuelle de ses parents.
Et pourtant cette découverte, malgré toute la tolérance et la volonté de compréhension du monde, ne va pas sans after-chock. Elle ouvre sur d’imprévues rivalités mimétiques, avec l’excentrique boyfriend de son père par exemple, qui a à peu près le même âge que lui. Elle jette un doute sur l’intensité même de sa vie à lui : et si son père, bien que vieux et malade, avait toujours été plus vivant que lui ?
Cette matière existentielle, le film la brasse avec un certain flegme, celui même d’une certaine famille du cinéma indépendant américain tendance Wes Anderson/Sofia Coppala, et dont la manière tient à un certain dosage de détachement. Un peu plus et la superficialité l’emporterait. Un peu moins et les affects deviendraient une glu dans laquelle ce cinéma de dandy redoute plus que tout de s’empoisser.
Le détachement, c’est une façon d’appréhender la vie qui passe comme appartenant déjà à l’histoire d’une civilisation étudiée longtemps après sa disparition, comme dans ces incises où, sur de vieilles images d’actualité, la voix off du narrateur replace la vie de chaque personnage dans le régime sensible de l’époque (en 1978, les gens s’habillaient comme ça, pensaient que la beauté, c’était ça, etc.).
Le détachement, c’est aussi une sensibilité hyperdéveloppée aux signes du monde mais une difficulté de produire une réponse à ces signes. Clairvoyant mais imperturbablement muet, sans autre réaction qu’intérieure, tel va Oliver (et c’est peut dire qu’Ewan McGregor est extraordinaire dans ce jeu à combustion lente).
Tel va aussi son chien qui, selon un gag particulièrement fantasque, jouit d’un vocabulaire de près de 150 mots mais auquel, proverbialement, il manquera toujours la parole.
Ce sont alors les sous-titres qui expriment ce qu’il pense. Si seulement ce qui se passe dans les têtes (des hommes, des chiens) arrivait à en sortir, la vie laisserait des empreintes moins amères. Beginners les relève avec un beau soin et une grande délicatesse.
Jean-Marc Lalanne
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