La Méditerranée n’est pas seulement la mangeuse d’hommes de la tragédie contemporaine. Elle reste un formidable creuset d’invention et les musiciens qui peuplent ses rives continuent à partager leurs voix et leurs rythmes.
Dupain, Sòrga
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Pendant dix ans, Dupain s’était tu, le temps de fuir l’étiquette de “rock occitan”, une réputation de groupe nécessairement “engagé” et la menace d’un formatage imposé par l’industrie du disque. Il est de retour avec son plus bel album, célébration d’une liberté et d’une urgence retrouvées à l’écoute du mystérieux poète Maxence. Autour de la parole effilée de Sam Karpienia, dure et limpide à en faire mal, s’ouvre tout un paysage de dentelles minérales et de calcaire fracassé de soleil, terre blanche et source noire, avec les circularités de la vièle à roue de Pierre-Laurent Bertolino, les torsions épiques du flûtiste Gurvant Le Gac et les battements d’ailes d’Emmanuel Reymond et François Rossi pour assurer la continuelle mouvance de l’hallucination. Avec un album pareil, on peut bien en prendre pour dix ans de silence encore : on aura de quoi tenir.
Canzoniere Grecanico Salentino, Quaranta
Le Canzoniere a 40 ans cette année et, si la plupart de ses membres actuels n’étaient pas nés quand le groupe s’est formé, tous ont tenu à fêter dignement cette entrée dans la maturité. La formule ne change pas : de la tarentelle, bien sûr, des tambourins, des violons et des chœurs, et la voix bouleversante de Maria Mazzotta pour mener le cortège au divin. A l’ombre de la fête peut aussi surgir la tragédie contemporaine, ainsi lorsque résonnent les vers d’Erri de Luca et que sont évoquées les marées de souffrances qui se multiplient en Méditerranée. Cette entrée dans la quarantaine est donc à la fois gaie et grave, enjouée et inquiète, à fleur de peau et immensément touchante.
Titi Robin avec Mehdi Nassouli, Taziri
Avec ses longues moustaches et sa poétique droiture, Titi Robin a quelque chose du chevalier errant, un peu perdu dans un monde sans honnêteté, mais qui ne se résignera jamais à lui sacrifier une parcelle de son idéal de beauté vertueuse. Une honnêteté viscérale que l’on retrouve dans son jeu, élaboré au croisement des manières gitanes – la brillance des guitares Selmer, le galop de la rumba catalane –, et orientales – les attaques et ornementations du oud et du buzuq. Jeune prodige du gnawa, Mehdi Nassouli lui offre ici le soutien des basses charnues de son guembri et la sérénité de son chant, don que l’Angevin reçoit avec un bonheur palpable, le sentiment d’une liberté partagée. A ne pas manquer, le 20 mai sur la scène de l’Alhambra.
Bania, Alwane
Si le gnawa marocain, rituel musical et mystique hérité des esclaves noirs et pourvu par la tradition de pouvoirs curatifs, est assez bien connu en Occident grâce à ses dérivés profanes, il n’en va pas de même de son équivalent algérien, le diwane. A la tête de Bania, Hafid Bidari le définit comme une grande fête ouverte à tous. Dans Alwane, conjuguant ferveur et convivialité, le groupe pare ses chants débordants de joie de guitare électrique, de batterie et de n’goni malien, teintant judicieusement la tradition de rock. Sur scène, la fête promet d’être complète. A vérifier le 23 mai, dans la salle Le Chinois de Montreuil.
Efrén López, El fill del Llop
Longtemps un carrefour d’échanges commerciaux et culturels entre l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Europe, la Méditerranée a toujours inspiré aux esprits voyageurs le rêve d’un espace commun, fraternel et tolérant. Ce rêve, plus que menacé aujourd’hui par les politiques européennes, le multi-instrumentiste catalan Efrén López le caresse toujours. D’un zeybek turc à un cante d’El Lebrijano, d’une vieille ballade occitane soutenue par le son du shofar de la liturgie juive à des hommages au village crétois de Kapetanianá et au site cathare de Valcebollère, López a conçu une architecture musicale où scintillent en miroir les innombrables traditions cultivées dans le vaste bassin d’azur.
Antonio Castrignanò, Fomenta. Ilenu de Taranta
La pizzica, Antonio Castrignanò, en connaît la pulsation secrète, cette énergie que l’on doit puiser au fond de soi pour relancer sans cesse le chant et continuer d’animer la danse de folie jusqu’à atteindre cette transe dont il se disait autrefois qu’elle servait à exorciser le poison mortel contracté par les morsures d’araignées. Mais le chanteur du Salento est aussi un moderniste qui se plaît à embarquer mandolines, accordéons et tambourins dans un tourbillon de sonorités, depuis le punch du bhangra indien jusqu’aux claquements de la darbuka maghrébine en passant par les rondeurs d’un tuba fanfaron. Grâce à ce mélange détonant, Fomenta passe à un train d’enfer, nous obligeant à y revenir, toujours avec le même plaisir.
Sacri Cuori, Delone ; La Batteria, La Batteria
Dans les années 70, sous l’influence d’Ennio Morricone, les bandes originales du cinéma italien, excédant leur fonction première, sont devenues un terrain d’expérimentation pop. Deux formations s’appliquent aujourd’hui à ressusciter le baroque flamboyant – et parfois sanglant – de ces partitions gorgées d’audaces et d’angoisses, de sentimentalisme et de terreurs. Quand Sacri Cuori opte dans Delone pour une pop nostalgique nuancée de psychédélisme fellinien, La Batteria élabore dans son premier album une chirurgie instrumentale qui voit wah-wah, synthés d’outre-espace, chœurs, guitares grinçantes, clavecins et orgues d’église caracoler dans un délire parfaitement millimétré.
Soapkills, The Best of Soapkills
Avant d’ébahir le public occidental par son habileté à évoluer entre pop, folk, chanson arabe et electro, la talentueuse Yasmine Hamdan a longtemps promené le velours grave et délicat de sa voix dans le milieu artistique underground de Beyrouth. C’était au début des années 2000, et Soapkills, le duo qu’elle formait avec Zeid Hamdan, procurait de grands frissons à la jeunesse du Moyen-Orient. Le 11 mai, Crammed Discs publie une compilation de 14 titres (dont deux inédits) de la formation désormais dissoute. L’occasion de constater que, par ses savantes déconstructions du format pop et ses ambiances cinématographiques, Soapkills sut égaler les grands noms du trip hop anglais.
Stelios Petrakis, Live in Heraklion Walls
Sous son allure humble et ses dimensions réduites, la lyra crétoise possède le don d’émouvoir les âmes au plus haut degré. Encore faut-il pour cela savoir la faire chanter avec autant d’art que Stelios Petrakis. Non content de valoriser cet aspect – essentiel – du petit instrument, ce dernier a choisi, pour le concert capté dans le Live in Heraklion Walls, d’aborder le répertoire traditionnel réservé à la danse. Entouré de musiciens crétois confirmés, il s’évade des contemplations naturellement suscitées par la lyra dans un joyeux tourbillon de répétitions qui s’accélèrent graduellement, la virtuosité se muant alors en plaisir pur. A retrouver le 26 mai, sur la scène parisienne du Studio de l’Ermitage.
Ludovico Einaudi, Taranta Project
La taranta, la pizzica, encore et toujours, mais cette fois telle que la conçoit le pianiste et compositeur Ludovico Einaudi : une symphonie foisonnante où les voix et instruments traditionnels épousent les cordes classiques, le chant et le violon d’un griot mandingue, une guitare blues et des accents turcs. Taranta Project esquisse ainsi le mirage d’une gigantesque épopée salentine dont les origines se perdraient dans le fond des âges d’airain et dont les ramifications s’évaporeraient à l’Orient, sur les rivages d’Afrique et plus loin encore, partout où se porte le souffle poétique de la Méditerranée.
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