“Les Mille et Une Nuits” de Miguel Gomes est l’événement cinématographique de l’été avec la sortie successive de ses trois volets. Un film-monstre sous forme de fable pour explorer la crise au Portugal. Rencontre avec son réalisateur.
Avant de faire des films, tu étais critique de cinéma ?
Miguel Gomes – Oui, au siècle passé, pendant les années 90. J’ai arrêté en 2000. J’étais connu pour écrire des méchancetés sur les autres films, je n’avais pas une bonne réputation auprès des distributeurs et c’est la raison pour laquelle j’ai commencé à faire des films. Le milieu du cinéma s’est dit “donnons à ce connard la possibilité de réaliser un film et on verra comment ça se passe. Il se rendra compte que c’est difficile de faire un film.” ! Et en effet, mon premier long métrage, La gueule que tu mérites, est un film affreux. Mais personne ne s’en est rendu compte et on m’a donné la possibilité de continuer et de m’améliorer.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Tu écrivais quels types de papiers ? Critiques, interviews, sorties, films de patrimoine… ?
J’écrivais dans Publico, qui est un peu l’équivalent portugais de Libé. J’ai surtout écrit sur les films que j’aimais. Je pense que l’exercice critique, c’est certes de l’analyse, mais ça dit surtout beaucoup sur l’expérience de spectateur de cinéma. Cette expérience est sous-estimée, or je pense qu’il existe de bons et de mauvais spectateurs.
Etre un bon spectateur réclame une finesse qui n’est pas toujours reconnue à sa juste valeur. Il y a un effet pervers de la démocratie : tout le monde peut être spectateur de cinéma et maintenant, avec internet, tout le monde peut devenir critique de cinéma. Or, je suis désolé, mais être un bon spectateur de cinéma, ce n’est pas donné à tout le monde.
Quelles qualités font le bon spectateur ?
C’est avant tout une question de sensibilité. Dans un film, il y a ce que disent le récit et les personnages, et il y a un récit plus secret qui est raconté par la mise en scène. Une critique de film, c’est toujours un miroir du spectateur qui écrit. Parfois c’est intéressant, parfois moins, mais c’est toujours quelque chose qui me fascine : quel est le regard d’un individu confronté à un film, et qu’est-ce que cet individu peut donner en retour au film ? Pour moi, ce retour est aussi important que ce que le film donne au spectateur. C’est un échange.
Il y a une densité de bons cinéastes au Portugal. Existe-t-il aussi une tradition critique, comme en France ?
Le cinéma au Portugal est un miracle. On a une Cinémathèque très forte, notamment quand elle était dirigée par João Bénard Da Costa, qui défendait des cinéastes très importants comme Oliveira ou Monteiro, dans des périodes où ce n’était pas facile pour eux. Au Portugal, il y a aussi une tradition francophone, très importante par rapport à la critique de cinéma, car on a traduit ici les textes critiques français depuis la Nouvelle Vague. L’école française est très différente de l’école anglophone qui est plus technique, qui sépare le scénario, la mise en scène, la production, etc.
La tradition critique perdure au Portugal, même si ça devient difficile. Comme partout, il y a moins de place pour la critique dans les journaux. Mais internet a ouvert le spectre de la discussion sur le cinéma, amenant du bon et du moins bon. Quand j’étais critique, je réfléchissais tout le temps à comment partager mon expérience de spectateur. Le rapport d’un spectateur à un film est toujours un processus très personnel, intime. Néanmoins, dans un texte critique, il faut imaginer comment son expérience intime peut être partagée avec quelqu’un autre. C’est tout le défi de la critique.
Est-ce seulement à cause des producteurs ou distributeurs qui te considéraient comme un connard que tu as commencé à faire des films ?
Non. Il y a toujours eu pour moi un rapport entre être spectateur et essayer de faire. J’ai toujours eu ce désir de faire des films, même si ça a commencé un peu par hasard. Comme avec la critique, je fais des films que j’aimerais voir en espérant qu’ils seront partagés par des spectateurs. A chaque film, je repars à zéro avec ce défi de m’interroger sur ce que le film propose comme rapport avec le spectateur. Quand je suis assis sur un siège face à un écran, la chose qui m’importe est ma liberté. Est-ce que le film va m’obliger à ceci ou cela ? S’il s’impose à moi, qui a donné l’autorisation au réalisateur ou au producteur de m’obliger à pleurer, à rigoler, à aimer, à ne pas aimer, etc ?
C’est pour cela que le naturalisme au cinéma ne m’intéresse pas du tout. Faire croire au spectateur que ce qu’il voit, c’est la réalité ou la vérité, ça ne marche pas du tout pour moi. Je préfère avoir la liberté de décider comme spectateur si je fais un pacte de croyance ou non avec le film. Ce pacte passe pour moi par l’artifice. Je sais qu’un film ne me montre pas le monde, il me montre le monde à travers une représentation cinématographique.
Par exemple, j’ai toujours aimé la comédie musicale, un genre qui porte l’idée que le cinéma fait croire à des choses impossibles dans le monde réel. Fred Astaire, Gene Kelly, Ginger Rogers vont se faire des déclarations d’amour ou se disputer par le chant et la danse. Il revient au spectateur de croire à cette chose incroyable, qui porte pourtant une vérité, une vérité possible au cinéma mais pas dans la vie.
Tu préfères les films qui passent par le faux pour dire le vrai plutôt que ceux qui affichent leur vérisme et sonnent faux ?
Oui, c’est la différence entre la fiction et le mensonge. Le mensonge est contraire à la réalité alors que la fiction dit : ça ne se passe pas comme ça dans la réalité mais ça pourrait. Le cinéma nous offre ça, qui est une liberté.
L’interaction entre réalité, vérité et fiction est précisément le principe central des Mille et Une Nuits. Tu te représentes d’ailleurs toi-même, hésitant entre le réalisme et l’imaginaire…
L’idée était de faire entrer en contact, disons, des chômeurs qui racontent leur réalité avec un espace plus imaginaire. Je voulais montrer des choses qui se passent et des choses qui ne se passent pas dans la réalité mais qui pourraient. Pour faire un portrait complet de la réalité, il faut travailler avec la matière réelle mais aussi avec le rêve, l’imaginaire.
On a l’habitude de séparer le réel et l’imaginaire, je pense que c’est un préjugé. On croit que parce qu’on traite du social, on ne peut pas se permettre de faire tel raccord avec des éléments imaginaires. Je pense que c’est tout le contraire, qu’il faut absolument raccorder la réalité difficile d’une société avec un tout autre territoire d’imaginaire.
Pour moi, l’imaginaire est aussi réel que le réel. Dans tous les discours autour de la crise au Portugal, il manquait vraiment de la fiction. On n’avait pas seulement besoin de reportages, mais aussi, pourquoi pas, de baleines qui explosent, de sirènes en train de mourir…
Le processus d’écriture du film incarne cette dualité puisqu’une équipe de journalistes y participait.
Oui, des journalistes et des scénaristes ont travaillé avec moi, on a pu échanger et partager nos expériences et nos façons de faire. Les journalistes étaient en charge du réel, moi et les scénaristes en charge de la transformation de cette réalité par l’imaginaire. J’étais curieux de la réaction des journalistes à la première projection à Cannes, ils n’avaient jamais vu les rushes ni participé au tournage. J’avais l’impression qu’ils se méfiaient un peu de mon projet parce qu’ils ont l’habitude de contrôler leur travail jusqu’au bout. Après la projection du Volume 1, ils étaient satisfaits, émus, c’était le plus beau moment du film pour moi, j’étais très ému de leur émotion. Ils ont dit que le film apportait quelque chose de différent à leur travail mais que ça le prolongeait.
On a le sentiment que ce qui définit le mieux ton film est le mot “liberté”. Tu as transgressé toutes les règles écrites ou non écrites du cinéma, mais pas pour le simple plaisir potache de la transgression, juste parce que tu as fait comme tu le sentais.
J’ai en moi la sensation qu’il n’existe pas une seule manière de raconter. Dans le film, au départ, il y a des choses qui m’intéressaient, d’autres moins, mais la manière de les raconter m’a toujours intéressé. Chaque histoire appelait une manière différente de la montrer, un désir de cinéma différent.
Les Mille et Une Nuits est hétérogène, comme Ce cher mois d’août, alors que Tabou était plutôt homogène.
Récemment, j’ai découvert le cinéma de Hong Sang-soo. Il fait des films qui se ressemblent beaucoup, un peu comme Ozu. Ce qui différencie ses films, ce sont de toutes petites variations d’un film à l’autre. Des petites variations qui créent des ouvertures immenses. Moi, je n’y arrive pas, je ne suis pas comme Hong Sang-soo, pas comme Ozu, je ne suis sans doute pas aussi solides qu’eux. J’ai envie de choses plus diverses. Dans le volume un, L’Inquiet, il y a beaucoup de narrateurs, de changements de registres, et ce régime de variations dit quelque chose de moi. Je n’aime pas rester toujours à la même place, j’aime bouger. Je ne suis pas assez bon, pas assez compétent pour tenir tout un film en restant à la même place. Je préfère mettre dans le film tous mes désirs.
Quand même, dans Tabou, tu es resté à peu près “au même endroit”, tu as tenu une ligne cohérente, moins éclatée.
C’est vrai. Dans Les Mille et Une Nuits, j’avais un bon alibi pour donner libre cours à toutes mes envies, c’était le livre. Il me permettait de changer tout le temps d’histoire, de narrateur… Dans chaque histoire, il existe mille sous-histoires que l’on peut aussi décider de raconter. C’est pour cela que j’ai décidé de terminer par une série de portraits des éleveurs de pinsons, avec la conviction que Shéhérazade a compris que chaque personne, derrière sa vie a priori banale, possède en elle-même des histoires infinies.
Et l’histoire de Paddleman, ce demi-dieu qui possède un puissant système sexuel me touche autant que celle de ce couple des bidonvilles qui s’est connu en prenant tous les jours le même bus. C’est ça, le pari de ce film : des histoires banales du quotidien appartiennent autant au cinéma que des récits de la Bagdad antique. Le cinéma est un espace ouvert à ces divers types de récits.
Un des passages bouleversants du film, c’est quand la foule chante l’hymne portugais lors de l’anniversaire de la révolution des Œillets. Pourtant, je me méfie de la connotation nationaliste des hymnes nationaux, mais là, le chant est réapproprié par le peuple en célébration d’une révolution pacifique.
Dans La Grande Illusion, Renoir fait chanter La Marseillaise qui est un chant de résistance dans le contexte d’un camp de prisonniers allemand. La Marseillaise de Renoir, ce n’est pas le chant de Marine Le Pen ! Quand j’ai filmé cette séquence et que je l’ai montée, j’ai ressenti deux sentiments contradictoires. D’un côté un sentiment d’impuissance par rapport à la situation du Portugal, un sentiment de défaite par rapport aux rêves des gens, et de l’autre côté, un sentiment d’espoir.
J’ai appris la coexistence de sentiments contradictoires avec les films d’Oliveira. Souvent, en les regardant, je me demandais si c’était sérieux ou ironique. C’est les deux, ça dépend du regard du spectateur. Dans la séquence de l’anniversaire de la révolution des Œillets, l’espoir coexiste avec la sensation que c’est perdu. La situation est mauvaise mais les gens ont toujours des rêves, des désirs, de l’énergie, qui vont peut-être permettre de surmonter la mauvaise passe.
Alors on va me dire, espoir ou défaite, il faut choisir son camp, c’est l’un ou l’autre. Mais pourquoi pas les deux ? Je pense que le cinéma est à son meilleur quand il contient deux pôles contradictoires. C’est comme l’électricité, qui fonctionne par la circulation d’énergie entre un pôle négatif et un pôle positif. Le cinéma, pour moi, c’est ce qui passe entre deux pôles.
Autre séquence émouvante, le bain de mer du nouvel an. On ne sait pas si on est ému par ce peuple à la mer, toutes générations mêlées, ou parce que tu coupes le son et que la séquence est silencieuse, retrouvant une magie spécifique du muet à laquelle on n’est plus habitué.
Une quarantaine d’années après le muet est apparue une autre forme de cinéma muet, le home cinéma. Les familles d’amateurs ont filmé en super 8 des images qui avaient la même force que le cinéma muet. On peut voir cette séquence tournée un 1er janvier 2014 sur une plage, transformée par la fiction et le muet, comme la catharsis d’un peuple.
Dans le cinéma, on voit souvent des personnages “engagés”, mais qui ne font pas des choses aussi insensées que d’aller se baigner en plein hiver. Je pense que, comme ces gens, le cinéma doit aussi faire des choses insensées pour contrarier les logiques institutionnelles. Dans des situations difficiles comme la nôtre, les personnages de fiction doivent avoir des projets politiques insensés.
Couper le son ne fait-il pas partie de l’émotion de ce geste insensé, surtout en une époque où le cinéma dominant est très sonore, voire bruyant ?
La décision a été prise au montage. On a ressenti qu’il fallait couper le son, laisser parler les images, puis ajouter la voix off du syndicaliste qui nous dit adieu. Le silence rappelle le super 8, son côté intime. Il y a aussi des silences au début du film, quand je montre les interrogations du réalisateur à raccorder des choses a priori très éloignées. Ces silences à divers moments du film construisent un cheminement avec le spectateur, une émotion qui monte.
Dans Tabou aussi, tu avais recours à l’émotion du muet.
Oui, il y avait ce prologue, une histoire d’amour raté, un crocodile, des explorateurs… Puis il y a la partie contemporaine à Lisbonne, puis la partie africaine, tout un cheminement à faire pour arriver à un deuxième crocodile, une deuxième histoire d’amour… Il y a alors une émotion, générée par le parcours effectué dans le film.
Les Mille et Une Nuits documente un état des choses assez triste, mais plonge aussi parfois dans de purs moments comiques, comme le sketch sur la Troïka européenne et le gouvernement portugais. La comédie est une forme de revanche populaire ?
Bien sûr, se moquer des gens de pouvoir est une constante de la culture populaire. Montrer par exemple que les puissants sont en réalité impuissants, y compris sexuellement. On leur donne alors de la puissance mais finalement, ils en ont peur.
Est-ce plus efficace de combattre les politiques iniques par le biais oblique de la comédie et de l’imaginaire plutôt que frontalement par le cinéma militant ?
Oui, et c’est aussi pour protéger le spectateur parce que je ne veux pas lui imposer un message. Je place tous ces filtres, comiques, fabulateurs, etc, et c’est ensuite au spectateur de décider s’il veut s’engager et comment. Et puis je n’arrive pas à dire les choses de façon péremptoire. Même avec ce Premier ministre qui est très con. C’est tragique que des gens aussi bêtes aient autant de pouvoir, mais finalement, cette connerie est liée à l’enfance. Au final, que veulent ces politiciens ? Inscrire leur nom comme un gamin grave son nom au couteau dans un tronc d’arbre.
Alors c’est sûr que je n’aime pas ce type de personnage, que je n’aime pas leurs actes politiques, mais en même temps, je n’exclus pas qu’ils aient en eux une naïveté, une part d’enfance. Je ne peux pas les pointer du doigt en disant qu’ils sont le diable. Peut-être que ces politiciens n’ont pas conscience du mal qu’ils font aux autres, qu’ils n’ont pas la capacité de comprendre les effets de leur politique.
La grande scène du procès est typique de ta vision de moraliste. C’est le procès de la société mais personne n’est coupable, si ce n’est un enchaînement sans fin de causalités.
C’était le dernier jour de tournage au Portugal. Mon équipe de journalistes avait recueilli une compilation de faits divers tous plus absurdes les uns que les autres. La scène est faite du simple enchaînement de ces faits divers.
Et on a cette figure de la juge censée réguler la société mais qui en est incapable parce que les faits divers sont trop nombreux et s’enchaînent trop vite. Il n’y a aucun coupable, ou tout le monde est coupable. La scène commence comme une comédie et finit comme une tragédie. Une tragédie grecque, puisque c’est tourné dans un amphithéâtre. N’oublions pas que la Grèce est le berceau de la civilisation occidentale que l’on partage en Europe.
C’est ce que rappelle Godard dans toutes ses interviews.
Il a raison ! Dans la tragédie grecque, les acteurs sont au centre, les spectateurs autour. Dans mon film, les spectateurs assis dans l’amphithéâtre deviennent acteurs. Ce glissement est important pour moi, d’ailleurs, cette séquence de l’amphithéâtre est au milieu du volume 2, c’est le cœur noir du film, le moment où la société portugaise chute sans autre issue possible. Peut-être que le volume 3 infléchira ce pessimisme, mais cette séquence produit un vertige dont on ne peut extraire aucune morale. On peut simplement pleurer.
A Cannes, tu portais un t-shirt Weerasethakul. Es-tu toujours un spectateur de films assidu ? A part Weerasethakul, quels cinéastes t’ont récemment marqué ?
Malheureusement, j’ai raté à Cannes le Weerasethakul. Le Hou Hsiao-hsien aussi. C’est difficile de répondre à ces questions. Parfois, on me demande quel est le meilleur film des années 80 ? Je n’en ai aucune idée ! Mais parfois je réponds Le Maître de marionnettes de Hou Hsiao-hsien, un film vraiment incroyable.
Ces dernières années, j’ai beaucoup aimé P’Tit Quinquin de Bruno Dumont. C’est une série mais à Lisbonne, c’est passé en salles, en une seule fois. C’est un film incroyablement beau. Je me souviens notamment de cette scène où l’inspecteur caresse un cheval blanc tout en parlant des femmes et de la peinture flamande. Son collègue ne comprend pas, lui demande quel est le rapport entre le cheval, les femmes, la peinture. Et l’inspecteur lui dit qu’il ne sait pas, que c’est comme ça, tout en continuant à caresser le cheval. C’est une des séquences les plus belles et étonnantes que j’ai vues récemment. Le cinéma doit faire confiance à ses personnages, même s’ils voient des choses que personne d’autre ne voit, même s’ils voient des nichons féminins en caressant un cheval.
Tu vois les films en salles, en DVD, en VOD ?
Un jeune journaliste me parlait de VOD et je lui ai dit que j’étais assez âgé pour me permettre d’être un peu réactionnaire. Ma vie de spectateur s’est passée essentiellement en salles, même si la télé a joué aussi un rôle. Je me souviens par exemple avoir vu un Murnau par semaine à la télé, grâce à la Cinémathèque portugaise et aux cinéastes qui programmaient ces cycles. J’ai vu aussi à la télé tous les Hitchcock, tous les Godard, tous les Pialat ! Il y avait cette idée que montrer ce cinéma-là était une mission de service public. J’en ai bénéficié. Ce n’est plus comme ça aujourd’hui, dommage.
Mais aujourd’hui, on peut avoir accès à tout par internet…
Oui, mais il faut aller vers ce cinéma, alors qu’avant, c’est ce cinéma qui venait jusque chez toi sans que tu demandes rien. Ces programmations ciné de la télé ont construit mon désir d’aller ensuite en salles. Parmi les films qui ont marqué mon parcours, il y a Nouvelle Vague de Godard, un film qui a vraiment changé profondément mon rapport au cinéma, j’avais la vingtaine. Huit ans avant, je me souviens être entré dans une salle avec ma grand-mère pour voir le premier Indiana Jones, qui a changé ma vie aussi. Godard sera mécontent de lire ça mais je m’en fous ! Toutes ces sensations de spectateur font partie de moi, d’Indiana Jones à Nouvelle Vague.
Ton éclectisme fait penser au critique Serge Daney qui comparaît le cinéma à une maison avec une entrée Hollywood et une entrée cinéma minoritaire. Pour lui aussi, Godard et Spielberg faisaient partie de la même maison, malgré leurs différences profondes.
Je ne connais pas Daney. Mais Godard défendait le cinéma hollywoodien quand il était critique, et on le méprisait pour ça.
Les Mille et Une Nuits plaît à la critique mais c’est aussi à mes yeux un film populaire. Aimerais-tu que ce film soit vu par le grand public portugais et européen ?
C’est un autre de mes paradoxes. Comme Pasolini, j’ai envie de toucher le peuple, de construire quelque chose avec les gens qui n’appartiennent pas à l’industrie du cinéma, mais en même temps, j’ai la conviction qu’un film propose un rapport individuel avec un spectateur. Ce rapport est très important, très intime pour celui qui le vit intensément, indépendamment des autres spectateurs, qu’ils aiment ou pas le film.
Etre spectateur de cinéma, c’est être solitaire, même s’il y a du monde dans les autres sièges. Si un seul spectateur trouve sa place à l’intérieur d’un film, c’est déjà gagné. Ce n’est pas un problème pour moi si un film fait peu d’entrées du moment que quelques spectateurs vont ensuite porter le film en eux et prolonger l’expérience.
Les BO de tes films sont toujours marquantes. Tu aimes la musique autant que le cinéma ?
Je recherche la beauté partout, quels que soient la discipline, la manière, le registre. Je la cherche dans le cinéma, la littérature, la musique, la chanson… Il faut tout prendre là où il y a de la beauté, comme dans la séquence du cheval blanc de P’tit Quinquin, ou dans le passage de Chtiderman, quand le gosse ch’ti déguisé en Spiderman réussit lui aussi à grimper au mur. Le cinéma est ce lieu qui offre la possibilité d’une croyance qui nous manque parfois, ce lieu où peuvent coexister Spiderman et Chtiderman !
Les Mille et Une Nuits de Miguel Gomes, avec Crista Alfaiate, Dinarte Branco, Carloto Cotta (Por., Fr., All., Sui., 2015)
Volume 1 – L’inquiet (2 h 05), en salle
Volume 2 – Le désolé (2 h 11), en salle le 29 juillet
Volume 3 – L’enchanté (2 h 05), en salle le 26 août
{"type":"Banniere-Basse"}