Sur une poignée de singles graves, intenses et querelleurs, les Anglais de 3 Colours Red avaient failli nous rendre très copains avec le metal. Alors que sort Pure, album bancal mais intrigant, le groupe présenté par son label comme “la rencontre d’Oasis et de Metallica” déroute en avouant ses sombres penchants : AC/DC et Nick […]
Sur une poignée de singles graves, intenses et querelleurs, les Anglais de 3 Colours Red avaient failli nous rendre très copains avec le metal. Alors que sort Pure, album bancal mais intrigant, le groupe présenté par son label comme « la rencontre d’Oasis et de Metallica » déroute en avouant ses sombres penchants : AC/DC et Nick Drake.
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La première fois qu’on a lu le nom de 3 Colours Red, on a cru à une des bonnes plaisanteries de l’Ecossais Alan McGee, le puissant on l’a pourtant connu moins milliardaire, moins jobard patron de Creation Records. Caprice digne de son âge et de sa fortune, il se payait, en ce jour de juillet 96, une pleine page de publicité dans le New Musical Express pour remercier Dieu de lui avoir donné la chance de voir les Sex Pistols quelques jours auparavant au Shepherd’s Bush Empire de Londres. Au détour d’un texte fabuleusement hurluberlu et retors, il disait « Si, comme moi, vous acceptez l’idée selon laquelle Oasis et 3 Colours Red sont les deux groupes de rock’n’roll les plus passionnants du pays, alors souvenez-vous que Noel Gallagher et Chris McCormack m’ont affirmé, chacun de son côté ce soir-là, que les Pistols étaient bien meilleurs que leurs groupes respectifs. »
On savait bien sûr que les Sex Pistols étaient meilleurs qu’Oasis. Mais on ne savait pas que les Sex Pistols étaient meilleurs que 3 Colours Red. Et pour cause : on ne connaissait pas 3 Colours Red. On apprit bien vite que la merveille en question n’était autre que la dernière signature d’Alan McGee sur Creation, après une foire d’empoigne qui laissera quelques directeurs artistiques exsangues et finalement soulagés de voir ces vauriens souiller ailleurs des déjeuners d’affaires, pourrir chez la concurrence des réunions marketing. Bref, l’ordinaire rock’n’roll anglais, avec ses provocations réglementaires (première interview : « Je joue dans le meilleur groupe du monde… La rencontre entre AC/DC et Martin Luther King… Beaucoup de groupes américains nous ressemblent, mais aucun n’arrive à nos chevilles… »), son cortège d’âneries pour alimenter les faits divers des gazettes (pathétique pseudo-OD d’ecstasy, destruction de magnétoscope à la pizza, ouaaah, la vieille classe) et son décorum bien appris en Sup de Co (proposition de la maison de disques : « Le meilleur groupe du monde » ou « Oasis rencontre Metallica »). On oubliera très vite tout ce qui précède, pour ne garder que cette phrase : Oasis rencontre Metallica. Et puis on virera quand même Oasis, qui n’a rien à faire sur la photo. Metallica, donc. Et puis les Psychedelic Furs, pour cette façon de chanter le désespoir aux trousses, la voix étranglée par une passion trop chaude. Et puis les Ruts, grands oubliés du raout punk pas assez fun, pas assez frimeurs, pas assez caniches. Et puis les Mega City Four, parce que quand même, il faut bien être vache. Pas très sexy, le meeting 3 Colours Red, voire aussi austère que son patronyme piqué à papy Kieslowski.
Et c’est là où les choses deviennent (légèrement) passionnantes : ce groupe strictement rock’n’roll aurait pu s’appeler Senseless Things, Ned’s Atomic Dustbin, même Soundgarden. Mais non. Car il s’est choisi un chanteur parfaitement atypique, qui écoute Nick Drake tandis que les autres cartonnent du AC/DC à tombeau ouvert. Chris McCormack : « Pete passe ses journées à lire les journaux, à analyser. Il aime la poésie, écoute tout le temps Nick Drake. » C’est lui qui a choisi de s’appeler 3 Colours Red, il n’a jamais entendu parler des Ruts mais vénère le folk le plus dépressif : pour une fois qu’on partage un chanteur avec Top Metal Magazine, il faut en plus qu’il soit intellectuel. Pas quand il joue sur scène ou s’amuse backstage (jeux de 3 Coulours Red : pisser dans les canettes de bière), mais quand il laisse tomber le masque. Dommage qu’il ne le laisse pas plus souvent tomber. Mot d’excuse : le groupe, qui n’a connu que le chômage et une vie minable, n’a aucune envie de tuer sa poule aux œufs d’or, construite à la main en quatre années de patience exemplaire. « Beaucoup de groupes ne savent même pas pourquoi ils sont là, enrage le ténébreux Pete Vuckovic. Moi, je n’ai rien d’autre que ce groupe dans ma vie, je ne vais pas tout foutre en l’air. Si ça merde, je sais que je vais me retrouver peintre en bâtiment. Se plaindre que c’est un métier dur, je laisse ça aux groupes bourgeois. Facile, quand on a grandi dans un milieu aisé, de pleurnicher, d’avoir des états d’âme. Moi, je m’amuse pour la première fois de ma vie. »
3 Colours Red s’amuse, donc : curieuse façon de se poiler. Les poings serrés au fond des poches, le sourire en deuil, le geste toujours nerveux, jamais serein. On n’a même jamais vu groupe s’amuser avec autant de pessimisme, chaque chanson de l’album Pure ayant un moral d’acier de cet acier dont on fait les poids pour mieux couler au fond des eaux. Aux pauvres Boo Radleys qui, compagnons d’écurie, ont eu le malheur de croiser ces teignes après avoir claironné « Réveille-toi, c’est une belle journée » sur Wake up Boo!, 3 Colours Red opposera sa vision du réveil en fanfare : « Quand je me réveille chaque matin, il pleut et il y a des factures sur le paillasson. » Depuis que Blur avant d’ouvrir ses yeux, puis ses veines, sur son dernier album , The Divine Comedy ou My Life Story avaient fait de la brit-pop une enclave comédie musicale (paillettes) au pays de Ken Loach (briquettes), on attendait ce retour de bâton, cette renaissance des guitares cradoques, malades, mal élevées. Avec 3 Colours Red, l’Angleterre arrache ses lunettes roses, les piétine et se regarde en face : pas glop. Pourtant, si le métal forgé par 3 Colours Red est tout noir, il peut aussi à l’occasion prendre les reflets fascinants du mercure, torrent impétueux de punk-rock qui dévale en ricochant sur les rochers, en sourds grondements et en remous opaques.
Sur ces This is my Hollywood, ces Pure, 3 Colours Red rappelle étrangement la première mouture de Joy Division, ce groupe il s’appelait alors Warsaw à peine sorti de son adolescence punk, la rage au ventre, pas fichu de sourire, de s’ouvrir. Un groupe fâché des idiots ont dit « fachos » , incapable de parler mais sacrément doué pour crier et si le heavy-metal, loin de tout décorum, de toute panoplie, c’était ça : des garçons timides et frustrés qui hurlent ce qu’ils ne sont pas capables de dire ? En ce sens, Joy Division, Karma To Burn, le Metallica du Black album et 3 Colours Red font des groupes très fréquentables de heavy-metal. « Je ne comprends pas qu’on nous considère comme un groupe de metal, grimace le guitariste Chris McCormack. On ne se maquille pas pour monter sur scène, on ne porte pas de panoplie cuir/clous. Je hais le heavy-metal. Nous, si on a des grosses guitares, c’est parce qu’on a aussi d’énormes mélodies. Mes vrais héros sont les Pistols, les Pixies, Rocket From The Crypt ou Nirvana. » En équilibre sur la frontière entre glas et gras, le sombre magma de 3 Colours Red sait aussi devenir irrespirable. C’est le cas quand l’écriture laisse le vent gonfler ses cheveux, emphatique jusqu’à mériter de solides coups de pied dans les tibias : là, 3 Colours Red évoque une autre tentative de métal froid, lugubre et anglais, les franchement oubliables New Model Army et leurs hymnes pour stades boueux et garçons en nage. C’est le cas sur Sunny in England, sur les affreux Alright Ma ou Mental blocks, sur le coriace Anissed ou le risible Fit boy + faint girl, hymne à briquets de tous les festivals anglais à venir cet été. Au pire (Halfway up the downs), 3 Colours Red ranime sans même le savoir les pires fantômes de la musique anglaise, cette époque maudite où le heavy-metal se voulait explorateur, se cherchait une crédibilité en se faisant photographier aux côtés des foireux du rock progressif l’option Spinal Tap à Stonehenge. Vaguement affiliée au punk-rock anglais sa carte de membre, elle l’a uniquement prise pour raisons professionnelles ou par fidélité à l’enfance , cette musique devient pourtant palpitante quand elle prend la tête du heavy-metal pour cogner sur celle de la pop. Sur Love’s radle, Nuclear holiday, This is my Hollywood, Copper girl ou Sixty miles high, ces coups font plus d’étincelles que de grosses bosses. Comme des gros tubes de metal, mais qui ne sonneraient pas du tout creux : qu’est-ce qui peut bien habiter à ce point, jusqu’à crever d’étouffement, les meilleures chansons de 3 Colours Red ? « La frustration, une pleine vie de frustration, assène McCormack avec son accent chantant de Newcastle. Des années au chômage à regarder le plafond, des années à être montré du doigt à l’école parce qu’on ne porte pas les vêtements qu’il faudrait, parce qu’on écoute les Sex Pistols plutôt que New Order, des années à être traité comme si on était une erreur de la nature dans son quartier sans histoires… Il faut avoir grandi dans le Nord pour comprendre ce que peut être l’isolement, l’impression d’être pris au piège, de s’enfoncer, d’être oublié par Londres. Même si tout va bien aujourd’hui, impossible de se dépêtrer de ces années vides. De toutes ces soirées que j’ai dû passer seul chez moi, sans le sou, alors que mes copains allaient dépenser leur paie au pub. Mais c’était mon apprentissage, je savais qu’il fallait en passer par là, que le rock exigeait des sacrifices. Je voulais à tout prix être différent : c’est pour ça que les Sex Pistols comptaient tant pour moi. Ils étaient l’autorisation. » Licence to ill, comme le proclamèrent autrefois les Beastie Boys en parlant de cette autorisation à tous les outrages. Comme, par exemple, enchaîner Highway to hell et Pink moon.
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