Maggie Gyllenhaal brille dans l’ambitieuse et parfois trop stylisée “The Honourable Woman”, qui met en jeu secrets intimes et rapports Israël-Palestine.
Il y a quelques années encore, une histoire aussi complexe n’aurait probablement pas pu être racontée, à la télévision comme au cinéma. Aujourd’hui, elle correspond exactement à ce qu’on est en droit d’attendre du petit écran et plus personne, ou presque, ne s’en étonne. Née sur la BBC Two, The Honourable Woman fut l’un des chocs de 2014 en Angleterre. Elle nous arrive en ce début d’été avec ses mystères, ses étrangetés, son rythme lancinant. Le dénommé Hugo Blick a écrit les scénarios, produit et réalisé lui-même les neuf épisodes – huit dans la version originale, dont les chapitres sont plus longs. Ce Gallois de 50 ans n’a donc peur de rien, y compris des nuits sans sommeil. Il s’était fait connaître en 2011 avec The Shadow Line, un thriller glacé et glaçant dans les milieux mafieux.
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Un “metteur en images” réellement talentueux
Le spectre est ici bien plus large puisque l’héroïne de The Honourable Woman, Nessa Stein (Maggie Gyllenhaal), une femme d’affaires anglo-israélienne et baronne respectable, a pris la tête d’une puissante entreprise léguée par son père. Ce dernier a été assassiné devant ses yeux et ceux de son frère quand ils étaient enfants. La première scène cinglante montre ce trauma sans détour. Peu à peu, une intrigue internationale se déploie autour d’un projet de télécommunications en Cisjordanie, de rivalités politiques et financières, ainsi que de l’enlèvement d’un enfant. Les lambeaux du passé – qu’est-il arrivé à Nessa Stein, il y a huit ans, à Gaza ? – refont surface au même moment. La série prend alors sa forme définitive, celle d’un vaste tableau narratif, à la fois portrait de femme et radiographie étonnante des rapports Israël-Palestine. L’espionnage se mêle aux questions de filiation, de pouvoir et d’intimité.
Tout est précis, millimétré. Et saisissant ? On peut s’interroger. Malgré son grand sérieux et une ambition majeure, The Honourable Woman manque souvent d’air. Cela tient à la vision de son créateur, dont le désir de contrôle palpite à chaque scène, à chaque plan, sans toujours parvenir à le communiquer de manière intéressante. Dans ses pires moments, la série use et abuse de tics ultrastylisés (longues séquences sans dialogues à la musique appuyée, angles de caméra sursignifiants), confondant l’art de la direction artistique avec la mise en scène des tourments de ses personnages. Blick est certes un “metteur en images” réellement talentueux, mais quand il s’agit de filmer des scènes difficiles, deux viols notamment, le système atteint alors ses limites et une forme de putasserie crève l’écran.
Une sainte constamment aux portes de la souillure
Tout n’est pas à jeter, pourtant. Loin de là. A commencer par l’extraordinaire prestation de notre chouchou Maggie Gyllenhaal (qui doit aussi beaucoup à l’écriture) en femme à la fois compétente, puissante et blessée. Dans des tenues chic, son personnage tente de sauver ce qui reste d’un esprit de paix et d’idéal entre Israël et Palestine, tout en subissant de plein fouet les erreurs des autres et les siennes. Une sainte constamment aux portes de la souillure, telle est Nessa Stein, à laquelle Maggie Gyllenhaal apporte son intensité jamais embarrassante. Un exploit. Alors que celle qu’elle incarne se trouve jour et nuit en représentation – discours, réunions, négociations, mensonges –, l’actrice parvient à lui créer une vie intérieure en ayant simplement l’air de penser à autre chose. Comment ne pas l’aimer ? Cette performance a valu à la sœur de Jake un Golden Globe en janvier. Elle restera comme l’une des plus fortes de l’histoire contemporaine des séries.
Olivier Joyard
The Honourable Woman à partir du lundi 29, 20 h 50, Canal+
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