Rencontre avec Héléna Klotz, auteur de L’Âge atomique, un premier film vibrant, tout en balades nocturnes et amitiés masculines électriques.
Qui dit premier film dit film à la première personne. On ne compte plus, disons depuis Les Quatre Cents Coups de Truffaut, ces premiers longs métrages de jeunes cinéastes aux abords de la trentaine qui, pour leur coup d’essai, se projettent dans des personnages de dix ans ou quinze ans leur cadet afin de faire le récit d’un apprentissage (premiers deuils, premières amours, premiers émois sexuels). Ces dernières années, les premiers films français les plus marquants ont été le fait de cinéastes femmes et avaient en commun de raconter la sortie de chrysalide de très jeunes filles (Belle épine, Un poison violent, Naissance des pieuvres, Ma vie au ranch…).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’Âge atomique, premier long métrage de la jeune Héléna Klotz, est une nouvelle variation autour de l’adolescence et de ses expériences d’autant plus incandescentes qu’elles sont vécues pour la première fois.
« Oui, c’est vrai que j’ai conçu L’Âge atomique comme un journal intime, nous dit la réalisatrice. Tout ce dont parle le film m’est familier, son matériau est presque documentaire. »
À ceci près que ce n’est pas sur une figure de jeune fille que se projette la cinéaste, mais sur celles de deux garçons. Deux ados de banlieue venus à Paris pour traîner toute une nuit : « J’avais besoin de désirer mes personnages. Je ne suis pas sûre qu’il y ait tant de différences que ça entre les filles et les garçons. Mais je suis sûre que j’ai plus de désir à filmer des garçons. Le désir, c’est mon angle d’attaque. C’est le point d’où je me place pour observer autour de moi. D’une certaine façon, je l’ai même inscrit dans l’histoire : le film raconte l’histoire d’un garçon secrètement amoureux d’un autre. D’ailleurs, beaucoup des artistes qui ont compté dans ma vie sont homosexuels : Bernard-Marie Koltès, Pier Paolo Pasolini, Gus Van Sant… Je suis touchée, de façon très érotique, par le désir d’hommes pour d’autres hommes. »
Si le film parle du désir et de ses complications, c’est aussi un portrait très inspiré d’un certain état de la vie, transitoire et pourtant vécu comme un moment suspendu : la jeunesse.
« Tous les films que j’ai écrits, celui-là, mon premier court métrage, ceux que je n’ai pas encore réalisés parlent de personnages très jeunes. Je crois que ce qui me fascine tant dans la jeunesse, dit la cinéaste à peine trentenaire, c’est qu’elle permet de se représenter à quoi va ressembler le futur. En l’observant, on filme déjà demain. »
Hier, Héléna Klotz était une lycéenne en section scientifique qui se passionnait à la fois pour la musique, la peinture, le théâtre. Ses parents, les cinéastes Nicolas Klotz et Élisabeth Perceval (auteurs de La Blessure, La Question humaine…), l’encourageaient à aller où elle avait envie d’aller. Elle s’inscrit dans une fac de cinéma, mais a déjà commencé depuis longtemps son initiation cinéphile. « J’ai découvert très jeune le cinéma d’auteur. À 15 ans, j’ai été foudroyée par Bresson, en premier lieu Mouchette et Au hasard Balthazar. Puis j’ai découvert Pasolini. Je ne m’intéressais pas du tout aux mêmes films que mes copains de lycée. Le cinéma américain m’était totalement étranger. Je n’y comprenais rien. Et puis, assez jeune, j’ai quitté la maison de mes parents pour m’installer avec un homme. Il détestait le cinéma que j’aimais, et du coup nous nous sommes mis à regarder des séries. J’ai d’abord découvert 24 heures chrono et c’est devenu comme une drogue. J’ai adoré ce côté addictif, le fait que ça n’en finisse pas, ce rapport hypnotique à un récit. Puis je me suis plongée dans Les Soprano, The Wire, Breaking Bad. J’ai fini par rencontrer le cinéma américain, d’abord par la comédie et les acteurs : Will Ferrell, Ben Stiller, Owen Wilson… » SuperGrave, cette balade fusionnelle entre potes, toute une nuit, est peut-être une influence discrète de L’Âge atomique.
Et dans le cinéma français, comment se sent-elle ? « J’ai du mal à voir de quoi on parle quand on dit ‘cinéma français’. Je vois plutôt des auteurs très singuliers. Pour prendre trois d’entre eux qui m’intéressent beaucoup, je ne vois pas d’unité esthétique entre Arnaud Desplechin, Bruno Dumont ou Christophe Honoré. En revanche, on peut parler des institutions du cinéma français. Mon film, comme celui de Valérie Massadian, Nana (un autre premier film audacieux et très réussi de l’année – ndlr), a été financé comme un court. Avec ce budget, nous avons réalisé des longs, sélectionnés dans des festivals étrangers, sortis en salles. Mais le CNC ne nous a pas accordé pour autant d’aide à la réalisation. On sent bien que le système n’intègre pas d’autres façons de faire des films, n’est pas prêt à changer ses manières de production. Mais ce n’est pas si grave. D’ailleurs, si je vois quelque chose de commun entre toutes les filles de ma génération qui font des films, Sophie Letourneur, Rebecca Zlotowski, Katell Quillévéré, Céline Sciamma, ça tient à une certaine façon de ne pas se laisser écraser par les contraintes du système, une capacité à forger son microsystème. Peut-être parce qu’on hérite de quelque chose de moins ancien, de moins lourd. Dans les films de toutes ces filles, il y a vraiment un élan. »
{"type":"Banniere-Basse"}