Parce que le Coran prohibe l’adoption, la loi musulmane a créé la “Kafala” ou “recueil légal”. Jusqu’en 2001, la France le transformait en adoption. Depuis, parents et associations militent pour un changement législatif.
“La kafala, c’est le parcours du combattant”, lance dans un long soupir Françoise, 52 ans. Derrière ce mot énigmatique, se cache une réalité bien concrète, celle de l’adoption en terre d’islam, interdite dans la majorité des pays musulmans. Cependant la loi coranique a créé la “kafala” ou “recueil légal” qui permet à un recueillant, appelé kafil, de prendre soin d’un enfant abandonné (makfoul) et de le considérer comme le sien. Contrairement à une adoption, la kafala ne crée pas de lien de filiation et ne confère donc pas au makfoul les mêmes droits que ceux d’un enfant biologique.
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En 2007, Françoise qui ne parvient pas à tomber enceinte décide alors, avec son époux franco-algérien, de traverser la Méditerranée :
“On savait que la kafala serait plus rapide qu’une adoption dans un autre pays et cela permettait à mon mari de partager avec l’enfant la même culture. On se voyait mal adopter en Asie.”
Chaque année, environ 400 enfants, pour la plupart originaires du Maroc et d’Algérie, sont ainsi recueillis.
Jusqu’en 2001, la France transformait ce statut en adoption. Mais depuis, la législation a été modifiée. Les parents doivent désormais attendre cinq ans pour que l’enfant obtienne la nationalité française, ce qui leur permet alors d’enclencher une procédure d’adoption. “L’adoption d’un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France”, stipule le code civil.
“Pourquoi pénaliser nos enfants alors qu’ils ont vocation à devenir français?”, s’interroge Malika Bouziane, présidente de l’Association de parents adoptifs d’enfants recueillis en kafala (Apaerk). Jugé “inacceptable” par les parents, ce délai pourrait bientôt être raccourci. Dans le cadre du projet de loi sur la protection de l’enfance, l’Assemblée nationale a voté, le 13 mai dernier, un amendement qui vise à réduire le délai de cinq ans à trois ans. Pour l’Apaerk, cette première étape est un “grand pas”.
“Si les parents peuvent adopter plus tôt, cela leur permettra de sécuriser l’enfant car s’il leur arrive quoi que ce soit, c’est la loi française qui prend le relais.”
L’Hérault, mauvais élève
A leur retour en France, les nouveaux parents sont souvent confrontés à des situations kafkaïennes. Lorsque leur enfant arrive dans l’Hexagone, ils doivent lui obtenir le droit à la Sécurité sociale, l’enregistrer auprès de la caisse d’allocations familiales et se procurer le document de circulation pour étranger mineur (DCEM). Sauf qu’en réalité, comme beaucoup de fonctionnaires ignorent encore ce qu’est la kafala, certains font preuve de mauvaise volonté et rechignent à appliquer les textes. C’est pourquoi la garde des Sceaux Christiane Taubira a rédigé, en octobre 2014, une circulaire qui vise à rappeler aux instances administratives et juridiques les droits des enfants recueillis en kafala. “C’est bien beau de rédiger une circulaire mais faudrait-il encore qu’elle soit lue”, enrage Françoise.
Le département de l’Hérault, où Françoise habite, fait office de mauvais élève. “C’est simple, c’est le seul endroit en France où l’on vous refuse la nationalité française”, dit-elle. Pour preuve, il a fallu deux ans à Françoise pour que Selim, son fils adoptif, aujourd’hui âgé de 8 ans, obtienne le précieux sésame. Selon elle, la faute à une greffière en chef du tribunal de grande instance (TGI) de Montpellier.
“Elle a tellement été odieuse que j’ai enregistré les entretiens. Pendant des mois, elle nous a demandé des papiers qui n’existaient pas juste pour ne pas prendre notre dossier. Il a fallu que le ministère lui envoie un courrier pour que la situation se débloque. C’est inadmissible.”
Tout aussi inadmissible pour Françoise, la réaction d’une autre fonctionnaire du TGI. “Je sais que je me lance dans une nouvelle galère, explique Françoise, la voix tremblante. Il a fallu que je parlemente pendant vingt-cinq minutes rien que pour obtenir un dossier de demande d’adoption. Elle n’a cessé de me répéter que je n’obtiendrai pas la nationalité alors que je ne cessais de lui répéter que mon fils venait juste de l’avoir.”
“Je ne suis pas la mère de mon fils”
L’Hérault est aussi l’un des rares départements à ne pas diligenter d’enquête sociale lorsque les parents ramènent l’enfant en France. Françoise n’a donc jamais reçu la visite d’une assistante sociale afin de vérifier les conditions d’accueil du petit Selim.
“Vous imaginez, j’aurais très bien pu faire venir cet enfant pour en faire mon ‘boy’ et le maltraiter. Pourquoi, on ne nous aide pas à devenir parents ? Il y a quelques jours une maman est revenue avec un bébé, elle se pose beaucoup de questions mais ne sera jamais suivie.”
“On ne le fait pas car se serait reconnaître la kafala comme une procédure légale d’adoption”, indique en guise de réponse, le service presse du conseil départemental.
Autant de galères administratives qui laissent à Françoise un goût amer. “Mon fils a huit ans et c’est huit ans de paperasse. Les démarches ont été tellement difficiles que mon couple en a pâti. J’ai passé des nuits sur internet à lire tous les textes de loi, les rapports, les jurisprudences. Et, aujourd’hui encore, je ne suis pas la mère de mon fils.”
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