Cinéastes, scénaristes, producteur, acteurs : le choix des Inrocks.
Yann Gonzalez, 38 ans, cinéaste
Ancien critique, auteur de courts métrages remarqués, Yann Gonzalez a signé un premier long fulgurant en 2013 : Les Rencontres d’après minuit. Un film-manifeste, acte de naissance d’une langue singulière, crue, sauvage, qui mélange les genres (du réalisme poétique à l’imaginaire bis) et jette des ponts entre cinéma passé et futur. L’auteur vient de finir l’écriture de son nouveau projet, Un couteau dans le cœur, le portrait d’une productrice de porno gay des 70’s traquée par “un tueur qui massacre le casting de son ultime film”. Pour le rôle principal, il rêve d’une “grande star française” (avec qui il est en discussion). RB
Katell Quillévéré, 35 ans, cinéaste
Ses deux premiers films lui ont valu une belle estime critique et un vrai succès public (Un poison violent, Suzanne). Elle est aussi un membre actif de la Société des réalisateurs français.
As-tu confiance dans l’avenir du cinéma français ?
J’ai un sentiment mélangé. D’un point de vue artistique, je suis plutôt optimiste. Notamment sur ma génération. Je sens à la fois une force, une capacité d’adaptation au système tel qu’il évolue, une audace. En même temps, la situation est inquiétante. Particulièrement celle de l’exploitation. Quelque chose va mal dans la place qu’ont les films pour être vus. Le réseau de salles art et essai est dans une concurrence féroce avec les multiplexes. Or le cinéma d’auteur qui réussit à trouver un public, c’est d’abord par le soutien de ces salles. Même si certains multiplexes font un travail de défrichage, ils ne font presque jamais de soutien sur la longueur.
Que penses-tu de l’arbitrage par les pouvoirs publics de cette concurrence ?
Il faut du courage politique pour réguler cette jungle libérale. C’est un chantier du CNC et du gouvernement. On attend de voir. L’autre mutation essentielle, c’est la possibilité que les films soient vus sur internet et en salle simultanément. Que va devenir la salle dans cette configuration ? Evidemment, les groupes (UGC, Gaumont, Pathé…) qui pensent qu’il y a trop de films qui encombrent les salles voient là l’occasion d’écarter les films dits “fragiles”, le cinéma d’auteur… C’est une façon d’organiser l’échec de ces films-là et c’est hyper dangereux.
La VOD est-elle appelée à modifier la donne ?
Pour cela, il faudrait que les fournisseurs d’accès participent au financement du cinéma. Et là encore, c’est une question de courage politique. propos recueillis par JML
Noé Debré, 27 ans, scénariste
Fin des années 2000, Noé Debré, étudiant en lettres à la Sorbonne, envoie un mail admiratif au scénariste de Jacques Audiard, Thomas Bidegain, qui décide d’en faire son apprenti. Résultat : en à peine deux ans, le jeune screenwriter, inspiré par les méthodes d’écriture américaines, a déjà apposé son nom au générique de cinq films, creusant un style ultra-efficace et moderne dans la comédie popu Les Gamins ou le teen-movie La Crème de la crème. Il a également cosigné le scénario du dernier film d’Audiard, Dheepan, sacré d’une Palme d’or à Cannes. Pas mal, pour un gosse de 27 ans. RB
Charles Gillibert, 37 ans, producteur
Le producteur qui monte. Il a passé dix ans chez MK2, auprès de son ami Nathanaël Karmitz (le fils de Marin). Il y a d’abord fondé MK2 Music, un label “au carrefour de la musique et de l’image” auquel collaborent entre autres des figures de la French Touch. En 2006, il reprend la production de MK2 et fait tourner Gus Van Sant, Kiarostami, Kechiche, Assayas, Dolan… En 2013, il crée sa propre boîte, CG Cinéma, où ont vu le jour Après mai et Sils Maria d’Olivier Assayas, Eden de Mia Hansen-Løve et le tout récent Mustang de Deniz Gamze Ergüven, une des révélations du dernier Festival de Cannes. JBM
Alexandre Mallet-Guy, 40 ans, producteur, distributeur
Dans un milieu de la distribution aux abois, il est l’un des derniers à rendre le cinéma d’auteur world encore sexy et populaire. Depuis le carton d’Une séparation d’Asghar Farhadi, César puis oscar du meilleur film étranger, Alexandre Mallet-Guy enchaîne les succès à la tête de la société Memento Films. Son truc ? Un sens du marketing redoutable, et une intuition aiguisée qui font de chacune de ses sorties (Winter Sleep, Black Coal, Taxi Téhéran ou encore Ida, obscur film d’auteur polonais en noir et blanc qui a dépassé les 500 000 entrées !) des événements médiatiques et publics dignes des blockbusters américains. RB
Nicolas Dumont, 38 ans, directeur des acquisitions du cinéma français, Canal+
Méconnu du grand public, il est depuis peu à la tête du plus grand argentier du cinéma français. Après ses débuts au sein de la société de production Galatée Films, le discret Nicolas Dumont a intégré en 2010 le groupe Canal+, dont il a été nommé en mars dernier directeur des acquisitions du cinéma français en remplacement de Franck Weber, qui occupait le poste depuis sept ans. Dans une économie fragilisée, il devra faire face dès les prochains mois à d’importants défis, parmi lesquels l’augmentation du nombre de projets soumis à la chaîne (Canal+ a financé 110 films en 2014, pour 500 projets reçus). RB
Mia Hansen-Løve, 34 ans, cinéaste
Actrice éphémère dans Fin août, début septembre d’Olivier Assayas, collaboratrice des Cahiers du cinéma, Mia Hansen-Løve est passée par différentes étapes dans le cinéma avant de signer en 2007 Tout est pardonné, prix Louis-Delluc du premier film. On y remarque sa délicate sismographie des sentiments, son style dépouillé et cristallin, qui se confirmeront dans Le Père de mes enfants, Un amour de jeunesse et Eden, sa fresque des années techno. Après deux films sur la jeunesse, elle prépare L’Avenir, sur une femme quinquagénaire quittée par son mari et ses enfants, qui sera jouée par Isabelle Huppert. SK
Thomas Cailley, 35 ans, cinéaste
Après une formation à Science Po et un passage à la Fémis, section scénario, Thomas Cailley a fait une entrée fracassante dans le cinéma français avec Les Combattants, son teen-movie électrique couronné d’une belle carrière en salle (390 000 entrées) et de trois prix aux César, dont celui du meilleur premier film. Sa force ? Une écriture sensible, drôle et aventurière, qui décloisonne les genres et ose les nouveaux territoires imaginaires. Le cinéaste planche actuellement sur son prochain film et vient de coécrire le premier long de Victor Saint Macary, une comédie “façon bromance” annoncée pour 2016. RB
Rebecca Zlotowski, 35 ans, cinéaste
Rebecca Zlotowski n’a réalisé que deux films : Belle épine, qui a obtenu le prix Louis-Delluc du premier film en 2010, puis Grand central en 2013 (Un certain regard). Mais elle fait déjà partie des valeurs sûres du cinéma français. Parce qu’entre teen-movie au seuil du fantastique et chronique du prolétariat de l’industrie atomique, elle a développé des univers tout à fait originaux. De plus, elle accomplit des pas de géant, en termes de production, entre chaque film. Son prochain ? Planetarium, un grand film romanesque dans la France des années 30, avec un casting dément : Natalie Portman et rien moins que, pour sa première apparition à l’écran, Lily-Rose Depp… JBM
Louis Garrel, 32 ans, acteur, cinéaste
Petit-fils de (Maurice), fils de (Philippe et Brigitte Sy), et frère de (Esther), Louis est irréductible à ce statut de fils de famille. Né à l’écran grâce à Christophe Honoré, au théâtre par le Conservatoire, longtemps confondu avec une réincarnation de Jean-Pierre Léaud (son parrain), il ne s’est pas laissé enfermer et a mené son petit bonhomme de chemin. Il vient de présenter son premier long en tant que réalisateur, Les Deux Amis, présenté à Cannes à la Semaine de la critique. JBM
Céline Sciamma, 36 ans, cinéaste
Naissance des pieuvres, Tomboy, Bande de filles : en trois films, Céline Sciamma s’est imposée comme la réalisatrice décisive de sa génération. Autour des motifs clés de l’adolescence, des marges et des identités sexuelles flottantes, l’ancienne élève de la Fémis a réinjecté du contemporain dans les vieux habitus naturalistes français, et ouvert la voie à un nouvel imaginaire, branché sur le courant alternatif du cinéma américain. En attendant un hypothétique projet de série télé, elle a coscénarisé Quand on a 17 ans d’André Téchiné, un portrait d’adolescents avec Sandrine Kiberlain en maman. RB
Adèle Haenel, 26 ans, actrice
Après un rôle d’enfant dans Les Diables de Christophe Ruggia, elle a explosé dans Naissance des pieuvres de Céline Sciamma en 2007, prix Louis-Delluc du premier film. Ses yeux clairs, sa densité physique et son aisance cash ont ensuite séduit des cinéastes aussi divers que Bertrand Bonello (L’Apollonide), Katell Quillévéré (Suzanne – César du meilleur second rôle féminin), André Téchiné (L’homme qu’on aimait trop), sans oublier Thomas Cailley et son hit indé Les Combattants (César de la meilleure actrice). La comédienne aux deux César poursuivra sa route chez Léa Fehner (Les Ogres), Arnaud des Pallières (Orpheline) et surtout Luc et Jean-Pierre Dardenne (La Fille inconnue) sous le regard desquels on imagine qu’elle fera merveille. SK
Vincent Macaigne, 36 ans, metteur en scène, acteur, cinéaste
Révélé d’abord comme metteur en scène d’une inventivité et d’une énergie foudroyantes (Au moins j’aurai laissé un beau cadavre, Idiots…), il est l’acteur phare du jeune cinéma français. Son mix de fragilité et de violence, d’humour et de présence physique ont servi Un monde sans femmes et Tonnerre de Guillaume Brac, La Fille du 14 Juillet d’Antonin Peretjatko, La Bataille de Solférino de Justine Triet ou encore Eden de Mia Hansen-Løve. On le verra bientôt dans Les Deux Amis de Louis Garrel, La Loi de la jungle de Peretjatko ou Des nouvelles de la planète Mars du revenant Dominik Moll. Macaigne a le potentiel pour devenir un nouveau Depardieu : il faudrait pour cela qu’il élargisse sa fanbase en décrochant des premiers rôles dans des films populaires. SK
Vincent Lacoste, 21 ans, acteur
Révélé à 15 ans dans Les Beaux Gosses de Riad Sattouf, plus jeune nommé de l’histoire des César dans la catégorie Meilleur acteur pour Hippocrate, il n’arrête plus de tourner. On le retrouvera dans les prochains films de Pascal Bonitzer, de Delépine et Kervern, et de Justine Triet.
Qu’essaies-tu de tracer par tes choix ?
Je ne suis pas sûr de savoir ce que je veux vraiment faire. Enfin si, j’ai envie d’être dans de bons films. La qualité du film, quelle que soit ma place, compte plus que mon rôle, mon personnage. Moi, à la base, j’aime le cinéma. Grâce à mon père, j’ai développé dès l’âge de 12 ans une passion pour les films de Truffaut. Mon truc, c’est le cinéma d’auteur. ça m’a toujours aidé à me sentir mieux, à réfléchir. Bien avant que je devienne acteur.
As-tu le sentiment de traverser un moment favorable du cinéma d’auteur ?
Ah oui, carrément. Et je pense que ça va croître dans les prochaines années. Depuis quelque temps sont apparus beaucoup de cinéastes passionnants : Justine Triet, Katell Quillévéré, Guillaume Brac, Lucie Borleteau, dont j’ai adoré Fidelio, Riad (Sattouf) bien sûr, et plein d’autres. On se sent porté par l’émergence d’une génération, une énergie commune.
Qu’est-ce qui t’enthousiasme en ce moment dans le cinéma ?
Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin. C’est un film génial, la quintessence du cinéma français dans l’analyse du sentiment. ça m’a extrêmement ému. De toute façon, rien ne m’émeut plus que la chronique d’un premier amour. propos recueillis par JML
Rachid Djaïdani, 41 ans, cinéaste, acteur, écrivain
Révélé au grand public en 2012 grâce à son premier long métrage, Rengaine, furieux objet do it yourself qui dressait un portrait complexe de l’islam contemporain, Rachid Djaïdani est une personnalité à part dans le cinéma français. Pur produit des Yvelines, devenu champion de boxe après une formation de maçon, il s’est fait connaître en tant qu’acteur, écrivain (Boumkœur, banlieue-book culte des 90’s), puis réalisateur, inventant une langue singulière, autofictive, poétique et urbaine. En août, il débutera le tournage de son second long, Tour de France, une fiction “poétique et politique” avec une star masculine française mythique au casting. RB
Mati Diop, 33 ans, comédienne, cinéaste
Fille du musicien Wasis Diop et nièce du cinéaste Djibril Diop Mambéty, on l’a d’abord connue comme comédienne dans le très beau 35 rhums de Claire Denis. Elle a enchaîné des petits rôles et on peut la voir dans le récent Fort Buchanan de Benjamin Crotty. Mais Mati Diop est surtout une cinéaste passionnante, formée au Palais de Tokyo et à l’école du Fresnoy, influencée par Cassavetes et Weerasethakul. Après quelques courts, elle signe en 2013 le splendide Mille soleils, film rêveur et politique où elle revient quarante ans après vers Touki Bouki, le classique de son oncle. Mati Diop place le cinéma africain à la pointe de la recherche formaliste. SK
Léa Seydoux, 29 ans, actrice
Faut-il encore présenter cette jeune comédienne star, issue d’une lignée qui règne sur le cinéma français (Gaumont, Pathé…), apparue d’abord dans le cinéma d’auteur le plus vibrant (Bonello, Honoré, Lifshitz, Zlotowski…) et sitôt courtisée par de grosses pointures internationales (Woody Allen, Ridley Scott, Raúl Ruiz, Wes Anderson, Brad Bird pour Mission : Impossible – Protocole fantôme…). Benoît Jacquot avec Les Adieux à la reine puis Abdellatif Kechiche avec La Vie d’Adèle ont valorisé sa cinégénie singulière, fondée sur une certaine réserve et un miroitement de surface réfléchissante. Léa Seydoux va poursuivre sa course en tête avec Juste la fin du monde de Xavier Dolan (où elle côtoiera l’autre star française internationale, Marion Cotillard) et 007 Spectre de Sam Mendes où elle fréquentera Bond. James Bond. SK
Reda Kateb, 37 ans, acteur, cinéaste
Repéré chez Audiard (Un prophète), plébiscité aux derniers César (meilleur acteur dans un second rôle pour Hippocrate), il tourne actuellement le film de Wim Wenders, Les Beaux Jours d’Aranjuez.
Vous n’avez pas cessé de tourner depuis votre révélation en 2009 dans Un prophète. Quel regard portez-vous sur les cinq dernières années de votre carrière ?
Le cinéma français m’a donné du crédit et m’a permis de m’ouvrir à d’autres imaginaires, d’autres personnages que ceux auxquels on me réduisait à mes débuts. Si l’on regarde bien, il y a une cohérence nette dans tous mes choix de films. Je veux défendre un cinéma en prise avec la réalité. Un cinéma qui préfèrera se glisser dans le réel plutôt que d’imposer sa vérité de fiction.
Vous privilégiez aussi les premiers films. Avez-vous l’impression qu’une nouvelle génération d’auteurs émerge ?
Les lignes bougent. C’est la fin d’un cinéma de paillettes. Le star-system n’est pas mort, certes, mais d’autres champs s’ouvrent et d’autres langues apparaissent. Des artistes comme Thomas Cailley ou Céline Sciamma réinventent les formes ; ils cherchent d’autres manières d’appréhender le cinéma. Ils appartiennent à toute une génération d’auteurs désinhibés, qui veulent enfin donner du relief au réel.
Vous venez de présenter votre premier film en tant que réalisateur au Festival de Cannes, le court métrage Pitchoune. Une nouvelle perspective ?
Ce film était une respiration, un nouvel espace de liberté. Je l’ai fait sans véritable enjeu mais je crois qu’il m’a ouvert une porte. J’aimerais un jour tourner un long métrage. Mais pas maintenant, ni dans un futur proche. Il me faudra une histoire forte pour me relancer dans ce genre de défi très particulier. propos recueillis par RB
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