Selon les résultats d’une étude réalisée par trois chercheurs pour l’Observatoire des métiers de l’audiovisuel, la féminisation du journalisme audiovisuel s’accompagne d’une précarisation, et de discriminations salariales subsistantes.
Le journalisme audiovisuel connaît depuis quelques années des bouleversements liés à l’émergence d’internet et aux innovations des nouvelles technologies. Il en résulte une précarisation des situations individuelles, et un processus de fermeture relative du marché. Comme dans la presse écrite ou dans la culture, les possibilités d’emploi stable y sont rares. Dans ce contexte de crise, comment évoluent les inégalités hommes-femmes dans ce secteur ?
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Une féminisation à rythme soutenu
Une étude menée pendant deux ans (de 2013 à 2015) par trois chercheurs – Janine Rannou, Vincent Cardon et Ionela Roharik – permet d’objectiver les inégalités de genre persistantes sur ce marché du travail. Dans le cadre de l’Observatoire des métiers de l’audiovisuel – qui associe la Commission paritaire nationale emploi et formation (CPNEF) de l’audiovisuel, l’Afdas et le Centre d’études sociologiques et politiques Raymond Aron (EHESS-CNRS) – ils se sont plongés dans les dynamiques de carrières et de mobilités entre secteurs et métiers de l’audiovisuel. Un rapport de 250 pages, présenté ce 23 juin, restitue leurs observations sur les mécanismes de discrimination sexuelle dans les secteurs du cinéma, de la production audiovisuelle, des industries techniques et des radios et TV publiques et privées.
Une étude de cas consacrée aux journalistes révèle que la féminisation du secteur s’accompagne d’une précarisation, que les femmes sont toujours relativement exclues des postes dirigeants et que les inégalités salariales persistent. Ainsi, d’après les données de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels, les femmes représentaient 40 % de la population des titulaires de la carte de presse en 2000, contre 46 % 13 ans plus tard. Cette tendance est similaire dans l’audiovisuel : 33% des cartes en 2000 contre 43% en 2013.
Sous-représentées dans les fonctions les plus prestigieuses
Mais quelles fonctions occupent-elles ? Le constat fait par les chercheurs est sans surprise : les femmes sont sous-représentées dans les fonctions d’encadrement et les fonctions prestigieuses, alors qu’elles sont sur-représentées dans les fonctions hiérarchiquement inférieures. Par exemple, en 2013, 65% des secrétaires de rédaction sont des femmes, alors qu’elles ne sont que 36% à être rédacteur en chef, et 32% à être journalistes reporter d’images.
On constate donc que les femmes sont plus nombreuses dans les positions les plus précaires, comme celles des journalistes entrants rémunérés à la pige. En 2000, les femmes se situaient au même niveau que les hommes sur ce niveau, alors qu’en 2013 elles représentent 56% des effectifs. De même, alors que les hommes étaient majoritaires sur le segment des journalistes titulaires de la carte de presse rémunéré à la pige en 2000, ce sont désormais les femmes qui le sont, avec 54,2% des effectifs.
Vincent Cardon relativise ces résultats par la période de temps étudiée : « Treize ans, à l’échelle du marché du travail, c’est très bref. Les femmes ont doublé en proportion, et arrivent en masse dans des fonctions qui n’étaient pas particulièrement ouvertes aux femmes ». Mais cette ouverture correspond à une phase de précarisation de l’emploi, dont souffrent les femmes en particulier. Leur capacité à se maintenir dans la profession de journaliste est ainsi plus faible que celle des hommes. On observe également que les salaires féminins sont, à profession identique, inférieurs à ceux des hommes, même si les différences « tendent à régresser sur fond de réduction des niveau de salaires masculins ».
Inégalités de genre à France télévision
L’étude consacre enfin une partie à France Télévision, grâce aux données FTV couvrant la période de 2011 à 2013 (trop courte pour en dégager des tendances solides). Les femmes y sont relativement minoritaire (40%) parmi les 9000 salariés permanents de l’entreprise. Si elles occupent moins fréquemment des postes de direction, et gagnent moins que leurs collègues masculins à postes équivalent, ce n’est pas nécessairement lié à un effet de genre, car elles sont aussi plus jeunes et ont moins d’ancienneté dans l’entreprise. Une tendance encourageant se dégage de ces données : « les femmes sont sur-représentées par rapport à leur population au global dans les catégories cadre de direction; cadres et techniciens supérieurs (voir graphique ci-dessous).
« Les disparités existent, elles se logent dans les nuances et relèvent de mécanismes discrètement discriminants », conclue la sociologue Janine Rannou.
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