Et après on verra bien… un spectacle plus hétérogène qu’hétéroclite, qui brasse vigoureusement cirque, théâtre, musique et danse.
C’est l’histoire d’une contamination réciproque. Lorsqu’ils étaient élèves du Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne, les membres du collectif Anomalie furent de la première promotion à terminer leur cycle d’études en créant un spectacle avec le chorégraphe Josef Nadj, Le Cri du caméléon, au succès fulgurant. Comme tant d’autres artistes circassiens, loin d’être nés sur les routes, ils ont choisi cette voie pour quitter un monde et entrer dans un autre. Pour être en marge, vivre ensemble, habiter dans des roulottes : autant de prémices de vie qui impliquent un autre regard sur leur art, un remodelage en profondeur de ses formes traditionnelles. Autant dire que le principe du directeur du Cnac, Bernard Turin, de clore les études par la création d’une pièce avec un metteur en scène ou un chorégraphe agit comme un déclencheur idéal. La compagnie Anomalie vit le jour l’année de la création du Cri du caméléon, voilà près de dix ans.
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Il se trouve que Guy Alloucherie, le metteur en scène, a travaillé avec la 9e promotion du Cnac et proposé en 1998 C’est pour toi que je fais ça ! Suite à une rencontre de hasard, en tournée au Québec, Anomalie lui a proposé d’être metteur en scène et codirecteur artistique avec Laurent Letourneur, membre du collectif circassien, de leur troisième spectacle. Résultat des courses : Et après on verra bien…, ou le catalogue irraisonné de tous les élans, les ruptures et les facéties d’une jeunesse arc-boutée sur ses peurs et ses rêves, peu encline à sauter dans le bourbier adulte. Là réside leur cause commune : piétiner le cliché, briser les faux tabous, résister avec tous les risques et le défi que cela implique.
« Une aventure extrême », selon Guy Alloucherie, qui remet en cause les positions de chacun. Effectivement, qui dit metteur en scène ne dit pas pour autant arbitre, surtout quand la direction artistique se partage à deux. Dans les faits, Anomalie a travaillé un mois avant de démarrer les trois mois de répétitions avec Guy Alloucherie. Cette période de gestation a permis de creuser chaque proposition, chaque improvisation, d’accorder la même écoute à tous les interprètes. Point de départ du travail proposé par Laurent Letourneur : l’isolement,l’enfermement. Une thématique dure qui colore sans doute le spectacle d’une tonalité sombre et résonne douloureusement à l’annonce du décès de Laurent Letourneur en mai dernier, deux mois après la création du spectacle. Malade pendant toute la durée des répétitions, présent malgré tout, il aura toujours resserré le propos autour de propositions collectives, à l’image de cette scène de jonglage qui fait participer les dix interprètes.
A la fois piste de cirque, plateau de théâtre et lieu utopique, la scène ne connaît pas de répit. Entre acrobaties, trampoline, tissu, jonglage ou clownerie (le talent de Mathurin Bolze se découvre sous d’autres facettes, à la fois inédites et évidentes), il y a encore de la place pour des pitreries puériles, des airs gâchés façon canard enroué, des bagarres pas sérieuses et de vrais coups de blues. Des textes, écrits par les interprètes ou piochés chez François Villon, Albert Camus, Patti Smith, John Cassavettes ou Ingmar Bergman, font rebondir les propos, amalgament les situations entre elles, les nouent ou les dénouent, résistent ou se laissent infléchir. Plus qu’une mise en scène, c’est bien à un aménagement de territoires intimes que Guy Alloucherie s’est tenu, avec tous les dangers que cela comporte. Mais finalement, cela lui convient bien, lui qui se sent un imposteur dans le monde du théâtre, préférant de loin « être à l’écoute des gens pour mettre ensuite en forme leur histoire ». Et puis, s’arracher un moment à la tentation naturaliste du théâtre, avec la figure du metteur en scène en guise de démiurge, ça a du bon : « Sur la scène comme en répétitions, il se passait toujours plein de choses en même temps. Comme dans la vie, finalement. Et puis, je voulais être bousculé. Philosophiquement, je me suis posé la question de savoir pour qui et comment je travaille. Comment se placer face au risque, au danger réel que courent les artistes circassiens ? Ce sont eux qui connaissent leur limite. C’était comme un laboratoire, un travail excitant et épuisant, à double tranchant, où il s’agissait de raconter la vie d’un groupe à travers une forme chaotique, dans un désordre assumé. »
Fabienne Arvers
Espace Chapiteaux du Parc de La Villette, jusqu’au 31 décembre, tél. 01.40.03.75.75.
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