Entre témoignages inédits et images d’époque jamais diffusées, le premier documentaire sur l’histoire de Daft Punk raconte en détails la transformation de deux gamins parisiens en superstars mondiales.
Thomas Bangalter a 17 ans. Il force sa voix maladroitement et joue de la basse à visage découvert en compagnie de Guy-Manuel de Homem-Christo, à peine plus âgé, et de Laurent Brancowitz, futur guitariste de Phoenix. La scène se déroule à Orsay, en 1992.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le groupe s’appelle Darlin’ et les gamins profitent de la Fête de la musique pour donner le deuxième et dernier concert de sa très courte existence. Le son grésille, l’image crépite mais la VHS qui a survécu au passage des années constitue l’un des témoignages marquants du film documentaire Daft Punk Unchained diffusé le 24 juin sur Canal+.
Remonter le fil du temps
Pendant deux ans, Hervé Martin-Delpierre (réalisateur) et Marina Rozenman (coauteure) ont remonté le fil du temps pour raconter l’histoire de Daft Punk et isoler les étapes fondatrices de la construction du phénomène. Un projet instigué par la BBC et justifié par l’inexistence d’un tel effort narratif alors que le groupe a déjà dépassé les vingt années de carrière.
C’est d’ailleurs le potentiel du récit et le caractère exceptionnel du parcours des deux musiciens qui a séduit Hervé Martin-Delpierre : “Je suis un peu plus âgé qu’eux, j’ai 48 ans. Mais j’ai écouté leur premier album (Homework, 1997) quand il est sorti et je faisais partie des gens alertés par la mouvance electro qui naissait. Quand la BBC m’a proposé le projet, j’ai surtout été intéressé par l’idée de raconter une histoire qui s’étend sur vingt ans. Je savais que l’intransigeance avec laquelle les mecs ont défendu leurs idées donnerait une histoire intéressante. Tout l’enjeu était de faire vivre ce récit.”
Les étapes déterminantes de l’épopée
Pour mettre en images (et en sons) la transformation de deux postados parisiens en superstars robotiques, Hervé Martin-Delpierre et Marina Rozenman ont sélectionné les étapes déterminantes de leur épopée. Du dernier concert de Darlin’ à la cérémonie des Grammy Awards qui les a définitivement sanctifiés en 2014, le film effeuille la chronologie du succès de Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo.
Pour la première fois, les amis et proches collaborateurs du duo interviennent pour analyser et renforcer les extraits de concerts, de clips et d’interviews qui font le squelette de Daft Punk Unchained. Daniel Dauxerre, ancien manageur du groupe Darlin’, se retrouve ainsi à donner la réplique à Pharrell Williams, Kanye West, Giorgio Moroder ou Nile Rodgers par séquences interposées.
Le groupe n’avait aucun droit de regard sur le film
Les Daft Punk ont évidemment donné leur accord pour que le projet aboutisse mais les musiciens n’interviennent dans le reportage qu’à la faveur d’archives radio ou télé. Hervé Martin-Delpierre ne les a d’ailleurs jamais rencontrés : “Pour avoir accès à leur musique, il fallait leur accord de principe. Je suis allé à Los Angeles avec le producteur de la BBC il y a plus d’un an pour rencontrer Paul Hahn, le manageur des Daft Punk. Il a été très clair sur la façon dont on allait fonctionner : ils étaient d’accord pour nous donner une totale liberté sur la réalisation du documentaire et n’avaient aucun droit de regard sur le film.”
Si l’intimité de Bangalter et Homem-Christo est élégamment préservée, le refus de toute compromission artistique, l’interaction entre musique et technologie et la volonté de garder un contrôle total sur chacune de leur production trouvent plusieurs incarnations inédites dans un film qui s’emploie à raconter le mythe, sans jamais le déconstruire.
“Les fans trouveront des choses qu’ils n’ont jamais vues”
Une posture assumée par Hervé Martin-Delpierre : “Le but était de raconter comment l’histoire s’est construite car il n’y a que les initiés qui la connaissent en détail. Les fans de Daft Punk trouveront des choses qu’ils n’ont jamais vues et des voix qu’ils n’ont jamais entendues puisqu’elles n’avaient jamais eu l’autorisation de s’exprimer. Thomas et Guy-Man ne savaient même pas que les images de Darlin’ sur scène existaient. Ce n’est pas du tout un reportage, il n’y a pas de place pour le débat car je ne suis pas journaliste.”
L’ambivalence du discours de Daft Punk sur la notion de repli et d’anonymat est pourtant subtilement suggérée par le montage. Surtout lorsque les postures mégalo de Pharrell Williams et Kanye West répondent aux observations de Bangalter sur la nécessité d’échapper au “grand cirque” de l’industrie-spectacle.
Le groupe le plus paradoxal de l’époque
II y a beaucoup d’ironie dans le parcours de Daft Punk et on en retrouve forcément dans ce premier documentaire consacré au groupe le plus paradoxal de l’époque – capable de porter la culture du secret à l’extrême tout en assumant la spectacularisation de la musique électronique.
Le point d’orgue du documentaire se situe d’ailleurs à équidistance des deux considérations. En 2006, personne ne savait ce que Daft Punk avait prévu lorsque deux casques sont apparus dans le désert californien pour illuminer la pyramide de lumières du festival Coachella. “On ne peut pas comprendre la réussite de Daft Punk, illustrée par leurs victoires aux Grammys, sans comprendre ce qu’il s’est passé à Coachella en 2006, assure Hervé Martin-Delpierre. Ce soir-là, tous les spectateurs postaient des vidéos via YouTube, qui venait d’être créé. L’impact sur l’industrie musicale américaine, et sur les festivals, a été énorme. Dans la grande histoire, il faut une convergence de différents éléments indépendants pour aboutir à de grands changements.”
Daft Punk Unchained documentaire d’Hervé Martin-Delpierre et Marina Rozenman. Mercredi 24, 20 h 50, Canal+
{"type":"Banniere-Basse"}