En juin, l’arrivée au Palais-Bourbon de deux députés FN, ou apparenté, faisait grand bruit. Bien insérés depuis, malgré une activité peu probante, Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen tendent la main à la droite et gagnent du terrain.
« Fais pas ton Collard. » Cette petite phrase, glissée par un élu à un autre, salle des Quatre Colonnes, fait la fierté de Gilbert Collard, député du Gard depuis le mois de juin. « Ça veut dire que je suis devenu la référence du casse-couilles à l’Assemblée ! », se félicite-t-il. Il poursuit la surenchère : « Ce matin, sur la comptabilisation du vote blanc, je leur ai dit que c’étaient tous des faux-culs. Vous en connaissez beaucoup, vous, des députés qui osent le dire ? »
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Mais son vrai coup d’éclat frontiste dans l’hémicycle a eu lieu le 12 septembre. À l’ordre du jour : les emplois d’avenir. Collard, lunettes sur le nez, propose un amendement pour les réserver aux Français. Malaise à droite et protestations sur les bancs de gauche. Collard enlève puis remet ses montures, agite les bras, provoque :
« Mais que vous ont fait les Français ? Ah bon ? On ne peut pas parler de la France, ici ? Si on ne peut pas parler de la France à l’Assemblée nationale, je vous laisse. Je n’ai pas à parler à des gens qui n’aiment pas la France. Quelle honte ! »
Le micro est coupé mais Collard poursuit, inaudible. Sobrement, Serge Letchimy, député apparenté socialiste de Martinique, commente : « On ne nous avait pas habitués à ça : à la fois à cette tenue et à ce genre de prise de position. M. Collard nous dit qu’on hurle parce qu’on a parlé de la France, c’est lui qui hurle parce qu’on s’oppose à sa conception de la société française. Dans la société française, on ne fait aucune distinction de race, de couleur ou d’origine. »
Le texte est rejeté à main levée, comme les trentecinq autres amendements que Gilbert Collard a présentés. C’est le sort classique réservé aux députés de l’opposition, surtout quand ils n’appartiennent à aucun groupe politique. Mais, plus surprenant, il n’a pas saisi la seule opportunité qui lui était offerte de poser une question au gouvernement. « Il s’est désisté, explique son assistant parlementaire, il n’avait pas matière à intervention. » En tant que président de la commission des lois, le socialiste Jean-Jacques Urvoas décrypte : « L’image qu’il véhicule à l’extérieur est celle d’un perturbateur, mais dans le travail au quotidien il est assez conformiste. Il se veut iconoclaste et transgressif, mais je le trouve assimilé. Il s’est glissé dans le moule. En fait, avec nous, il intervient plus comme avocat que comme député. »
Le duo qu’il forme avec Marion Maréchal-Le Pen est donc loin de posséder la force de frappe qu’avaient leurs trente-cinq prédécesseurs élus de 1986 à 1988. À l’époque, les députés du Front national (Bruno Mégret, Bruno Gollnisch, Jean-Pierre Stirbois…), forts du groupe qu’ils avaient pu constituer, perturbaient le fonctionnement de l’Assemblée à coups de propositions chocs.
Et ce n’est pas Marion Maréchal-Le Pen qui va semer le trouble. Parmi sa trentaine d’amendements, on retrouve bien la préférence nationale en colonne vertébrale : elle demande la priorité nationale pour le logement social ou l’aide médicale. Mais pour le reste, « on ne l’entend jamais, rapporte un fonctionnaire du Palais-Bourbon. Elle n’a pas d’activité probante. Sa présence est un non-événement. » « Ils sont nouveaux dans la carrière et en phase d’apprentissage », tempère Louis Aliot, le vice-président du FN. « Maintenant qu’elle a son master de droit, on va la voir beaucoup », espère son mentor, Jean-Richard Sulzer, professeur à Dauphine. Cet ancien assistant d’Edgar Faure, devenu celui de Collard, connaît toutes les ficelles de l’Assemblée nationale. Si Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard se sont si bien insérés dans la petite société parlementaire, c’est en grande partie grâce à lui. Traduction en langage Collard :
« Je parle à tout le monde sauf à quelques abrutis décérébrés. Pendant un temps, on était les immondices de la République, mais l’autre jour dans l’hémicycle, ils ont dit qu’on était tous des républicains, ça fait plaisir. »
« Il n’y a que la gauche qui l’ostracise », confirme Urvoas. Un symbole : à la commission des lois, Collard a sa place au milieu des bancs réservés à l’UMP. Jour après jour, il tend la main à la droite, ce qu’il appelle « son petit boulot » : « Je leur dis ‘venez !’ Il suffit de treize et on fait un groupe. J’essaie de convaincre. » Pour ça, il a quotidiennement Marine Le Pen au téléphone. Or, la présidente du FN pourrait bien le rejoindre sur les bancs carmin de l’Assemblée. Si l’élection d’Hénin-Beaumont est invalidée par le Conseil constitutionnel, Marine Le Pen a en effet quelques chances de l’emporter face au socialiste Philippe Kemel. « Dans ce cas, on déplacera le centre de gravité à l’Assemblée », conclut, placide, Louis Aliot.
Article paru dans le numéro 887 des Inrockuptibles disponible en kiosque et en ligne ici
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