L’empreinte des marques sur notre environnement visuel : à Londres, une exposition s’attaque aux mécanismes du marketing de masse.
Pour commencer, une anecdote. L’année dernière, au moment du sommet de l’Organisation mondiale du commerce, les manifestants antimondialisation envahissent les rues de Seattle. Occupation urbaine que goûtent évidemment peu les autorités américaines, qui bouclent la ville, postant des bataillons de forces de l’ordre en ses points dits sensibles. Lieux stratégiques parmi lesquels figure le monumental magasin Nike (le Niketown), vite protégé par une rangée de flics en armes, visières baissées et matraques en mains. Image choc et moment emblématique de la politique des marques : shopping mall qui ne dit pas son nom, Niketown devient ainsi le visage honni de la globalisation. Quelques mois plus tard, deux jeunes commissaires britanniques peaufinent leur projet d’exposition sur les marques, Brand.new, au Victoria and Albert Museum. Dans l’une des salles, ils accrochent la photo du Niketown assiégé. Colère de la marque, qui leur retire alors son autorisation d’utiliser tout produit marqué du célèbre « swoosh ». L’image soudain sonnait trop juste.
Au dire des organisateurs, cette affaire Nike est le seul incident rencontré lors de la gestation de l’expo, autour d’un sujet pourtant hautement polémique. Il est vrai que les world companies d’aujourd’hui ont aussi appris à se taire face à leurs détracteurs, par peur d’égratigner leurs masques de sympathiques marchands. McDonald’s l’apprit à ses dépens en Grande-Bretagne, après un procès retentissant intenté par le géant du fast-food contre les deux auteurs d’un pamphlet lui reprochant, en vrac, d’être responsable de la famine dans le tiers-monde et de la déforestation. Accusations qui s’avérèrent difficiles à prouver, comme le constata la justice britannique. Sauf qu’entre temps, le mal était fait, l’image de McDo écornée, et le célèbre tract, représentant un gros capitaliste fumant le cigare derrière le masque de gentil clown qui symbolise l’entreprise, trônait haut dans le palmarès des détracteurs du marketing de masse.
C’est toute la limite de cette exposition : comment véritablement critiquer les marques sans, même involontairement, même à contrec’ur, jouer leur jeu et servir leur intérêt. Gareth Williams, cocurateur de Brand.new, explique avoir voulu rendre apparente l’emprise des marques sur notre environnement socioculturel contemporain, analyser leurs mécanismes de promotion, et décortiquer la véritable relation qu’entretiennent avec elles les consommateurs. Vaste pari qui déçoit quelque peu au résultat. Car après un préambule faussement spectaculaire l’expo s’ouvre par une forêt de logos bien trop menue pour faire de l’effet , une salle s’arrête, sans grand relief, sur la naissance du marketing à travers l’exemple de Coca-Cola. Peu avant une autre salle à la scénographie hésitante, censée décrypter les promesses des marques (loyauté, statut, amitié, authenticité…) et qui en réalité, les enregistre sans vraiment les contester. C’est donc dans la dernière salle que tout se joue. Et que le propos devient enfin percutant. Avec une patience infinie, on y a entreposé tous les exemples possibles de détournement, à but mercantile ou contestataire, de la publicité : de la fausse pub Calvin Klein réalisée par les activistes d’Adbusters (un brun tire l’élastique de son boxer « Calvin Kline » pour vérifier la taille de son sexe) à de fausses bouteilles de whisky, d’un T-shirt « Dyke: just do her » (« Gouine : fais-la-toi ») aux affiches de la journée sans achat : c’est tout un contre-vocabulaire publicitaire qui prend forme, recyclant art du graphisme et du slogan pour moquer les tics de la sphère marchande. A ce titre, l’un des exemples les plus passionnants de cet étalage est une incroyable collection d’objets indiens, tous estampillés de l’appellation Pepsi, sans avoir aucun lien avec le marchand de soda. On y trouve des sacs, un balai, une balle de cricket, des fringues, objets qui ne sont même pas des faux, dans la mesure où ils ne cherchent pas à singer le logo de la marque, ni à se faire passer pour une véritable production Pepsi. Une réappropriation pure et simple pour des raisons esthétiques et d’identification visuelle, de ces cinq lettres devenues emblématiques du langage publicitaire. Bel exemple d’acculturation. Pour finir, et pour la fine bouche, une dépêche Reuters du 14 mars dernier punaisée dans un coin rappelle cette info à peine croyable : le dénommé Marin Zdravkov, 36 ans, de nationalité bulgare, fan de foot, a reçu l’autorisation légale de changer de patronyme. Et répond désormais au nom de Manchester United.
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Brand.new, au Victoria and Albert Museum, Cromwell Road, South Kensington, Londres, tél. 00.44.207.942.2528. Sur le Net : www.vam.ac.uk
Catalogue incisif et documenté : brand.new, édité par Jane Pavitt, V&A Publications.