Alors que le magazine de la communauté gay fête ses 20 ans, son propriétaire a fait une demande de redressement judiciaire validée par le tribunal de Paris ce lundi. Habituée à traverser des crises, la rédaction tente de poursuivre son travail avec la même envie.
« On fête nos 20 ans, alors c’est vrai que ça nous a un peu sonné », lâche Yannick Barbe, directeur de la rédaction de Têtu. Lancé en juillet 1995 à l’occasion de la Gay Pride parisienne, le magazine de la communauté homo n’a pas été gâté pour son anniversaire. Ce lundi, le propriétaire du titre, Jean-Jacques Augier, a annoncé le placement en redressement judiciaire de la CPPD, la société éditrice du magazine, par le tribunal de commerce de Paris.
Avec 600 000 € de déficit prévu pour 2015, Têtu fait face à des difficultés de trésorerie insoutenables. L’issue était inévitable. « Jean-Jacques Augier a fait cette demande de redressement parce qu’il voulait sauver l’emploi et s’assurer que les salaires soient payés », précise Yannick Barbe.
« On est habitué à faire des efforts »
Premiers concernés, les journalistes de la rédaction ont été convoqués par Jean-Jacques Augier jeudi dernier. Déficitaire depuis sa création, le titre est habitué aux crises. « Ce n’est pas la première fois qu’on vit cette situation, on est habitué à faire des efforts », lance un journaliste. « On a du travail, pas le temps de se poser des questions, la seule différence c’est qu’on fait peut-être un peu plus d’humour noir aujourd’hui pour relativisé ». Yannick Barbe ne cache pas l’atmosphère d’inquiétude qui traverse ses troupes, mais assure que la mobilisation de la rédaction est intacte.
Depuis l’annonce, les messages de soutien fusent sur les réseaux sociaux. « On reçoit aussi des messages d’autres personnes que nos lecteurs, qui comprennent que c’est important d’avoir un magazine comme Têtu en France », se réjouit Yannick Barbe.
@sylvainzim Au départ je voulais fêter les 20 ans de @TETUmag en dessin, et puis c’est devenu un dessin de soutien. pic.twitter.com/8RY85sUApT — Nicolas Brunet (@elkame125) 2 Juin 2015
Merci pour vos messages ! Il existe un bon moyen de soutenir @TETUmag. S’abonner ! http://t.co/RcPHQem5g9 — TÊTU (@TETUmag) 1 Juin 2015
Cet élan spontané des internautes motive les troupes. « On est fier de notre magazine, on continue à bosser, en ce moment on prépare le numéro de juillet et la fête des 20 ans au Yoyo », détaille le directeur de la rédaction.
Le samedi 6 juin, une grande soirée sera organisée au club parisien le Yoyo. Le titre doit y fêter ses 20 ans et l’annonce judiciaire de lundi lui donne des allures d’événement de soutien. « On espère y voir du monde et vendre beaucoup de préventes, confie Yannick Barbe, les fonds vont directement dans les caisses du magazine et aujourd’hui on en a besoin. »
« Au moment où on remonte la pente »
Têtu n’avait pas connu une telle incertitude sur son avenir depuis 2013, où les pertes s’élevaient à 2,3 millions d’euros. Pierre Bergé, alors propriétaire, avait décidé de s’en séparer. Á l’époque, la France se déchirait sur le débat du mariage pour tous. Têtu n’avait pas pu s’y consacrer intégralement.
Trois investisseurs étaient candidat à la reprise, dont le banquier d’affaires Matthieu Pigasse (actionnaire du Monde et propriétaire des Inrockuptibles ndlr), rappelle Le Monde. Jean-Jacques Augier, proche de François Hollande, avait fini par racheter le titre pour 1 € symbolique.
Contrairement à Pierre Bergé, le nouveau propriétaire ne fait pas dans le mécénat. Le porte-feuille moins fourni, Augier a réalisé un plan de restructuration et réduit les effectifs de près de moitié.
La stratégie multimédia du titre a changé. Jean-Jacques Augier a décidé d’externaliser la rédaction web, qu’il a confié à Yagg. Un site communautaire fondé par quatre anciens de Têtu, dont Yannick Barbe nommé directeur de la rédaction du magazine par Jean-Jacques Augier. Fin 2014, le contrat entre Yagg et Têtu arrive à son terme. La rédaction web de Têtu réintègre les locaux de son titre.
Aujourd’hui, les abonnements remontent (près de 10 000), le site tourne bien (450 000 visiteurs uniques par mois), tout comme l’application rencontre « SoTêtu » (10 000 téléchargements) créée en avril dernier. « On a réussi à faire un beau magazine avec moins de personnes. La mauvaise nouvelle arrive au moment où on remonte la pente », déplore le directeur de la rédaction.
Pour la rédaction comme pour la direction, une nouvelle réduction des effectifs est inenvisageable. « On est arrivé à notre maximum avec la précédente restructuration. Si on va plus loin le magazine va perdre en qualité et ce n’est pas le but », insiste Yannick Barbe.
Peser face aux agences de publicité
En attendant, Jean-Jacques Augier cherche un repreneur. L’actionnaire voudrait associer le titre à un grand groupe de presse, selon un communiqué de la direction publié sur le site du magazine. Têtu serait victime d’une « attitude agressive » de certaines agences de publicité obnubilées par leurs marges à court terme. « Aujourd’hui ce n’est pas possible de faire un magazine indépendant », déplore un journaliste. Une stratégie à laquelle le titre songe depuis longtemps, « en particulier depuis l’arrivée de Jean-Jacques Augier », confirme un ancien journaliste.
Le tribunal de commerce de Paris a donné quatre mois à Jean-Jacques Augier pour trouver une solution. Comme l’a écrit Yannick Barbe dans son édito de juin : « 20 ans c’est l’âge des possibles ».