A l’encontre du droit européen, les forces de l’ordre françaises continuent de refouler les migrants en Italie.
La presse locale n’hésite pas à décrire la situation comme un chaos. Depuis presque une semaine, la gare de Vintimille, à la frontière franco-italienne, a pris des allures de camp de réfugiés, avec de longues files d’attente devant les points d’eau et de nourriture.
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Après avoir été refoulés par les autorités françaises, environ 200 migrants, dont une dizaine d’enfants, dorment là à même le sol, sur des cartons ou des couvertures. Ils occupent le grand hall et tout le long de la façade du bâtiment. Sous le contrôle de la police locale, la Croix-Rouge italienne a déployé un important dispositif : cabines de douches, couvertures, premiers soins, repas…
Le soir, quelques Français de Nice, engagés dans les luttes pour les sans-papiers, font aussi des allers retours le coffre rempli de vivres. Assis, un peu hagard, Mohamed, 21 ans, a été bloqué plusieurs fois par la police française à la gare de Menton. “Hier, j’ai tenté de passer via le train, sans succès. Il y a un côté absurde, mais pas suffisant pour me décourager”, explique-t-il en arabe. En effet, depuis jeudi, les autorités françaises refoulent les migrants, contrôlant systématiquement aux frontières, une pratique non conforme à la législation en matière de Schengen.
Ici, la plupart des migrants sont originaires de la Corne de l’Afrique – Soudanais du Nord et du Sud, Ethiopiens principalement de l’ethnie Oromo, quelques Somaliens – et du Tchad. Rares sont ceux qui connaissent la langue de Shakespeare, encore moins l’italien. La gare de Vintimille baigne ainsi dans un flot continu d’arabe littéraire approximatif, devenu la langue véhiculaire entre les différentes nationalités.
Un périple inimaginable à travers le Sahara
La calme règne, les attitudes sont bienveillantes : “On est plutôt solidaires, on échange nos ressentis et on se tient en permanence au courant sur l’évolution de la situation« , rapporte dans un très bon français Aboubakar, un Tchadien de 26 ans. Environ 150 autres réfugiés sont aussi regroupés plus près de la frontière de Menton, à 10 km de là, en bordure de me r: samedi, ils ont été dispersés par les forces de l’ordre italiennes.
Tous racontent ce périple inimaginable à travers le Sahara, puis la survie sur la méditerranée dans des embarcations de fortune. Mohamed a fui il y a deux ans l’Erythrée et la dictature du président Issaias Afeworki.
“On sait que Paris a restreint le droit d’asile”
Le drame de Lampedusa a rappelé à la communauté internationale l’existence de ce bagne oublié qu’est l’Erythrée, territoire de 6 millions de personnes qui, comme la Corée du Nord, est refermé sur lui-même. Calmement, Mohamed raconte dans les détails de son franchissement périlleux de la frontière du Soudan, fermée et surveillée par l’armée du régime Afeworki, puis la traversée du Sahara avec une centaine de personnes: “Les conditions étaient affreuses. Une vingtaine d’entre nous sont morts de soif sur le trajet. J’ai eu aussi très peur d’être séquestré par des trafiquants« , raconte-t-il.
En effet, à ses côtés, le corps bardé de cicatrices et la posture fragile, un autre Erythréen, Adam peine à raconter son parcours. Au départ, son ambition était de rejoindre Israël, mais non loin de la frontière, dans le Sinaï il a été séquestré par des trafiquants égyptiens. Au bout d’un an, un cousin de la diaspora résidant en Angleterre lui a fait parvenir 5 000 euros, le prix de sa liberté et de l’arrêt des tortures. Comme la plupart, il comprend difficilement pourquoi les autorités françaises ne le laissent pas passer : “Je ne veux pas rester en France mais plutôt rejoindre l’Angleterre ou la Hollande. On sait que Paris a restreint le droit d’asile”, poursuit-il.
Idem pour le Tchadien Aboubakar:
“J’ai quitté ma région natale parce que j’étais menacé du fait que mon père était un rebelle contre le dictature d’Idriss Déby en 2006. J’ai le sentiment que les autorités françaises me bafouent deux fois : quand elles ont soutenu militairement le régime de Déby contre la rébellion et quand désormais, elle m’empêche de rejoindre l’Angleterre”, conclut-il désabusé.
Ici et là, on dit que certains taxis feraient les passeurs pour quelques dizaines d’euros : la gare de Vintimille est traversée par une série de rumeurs, souvent invérifiables ; 1 000 migrants pourraient débarquer dans les jours à venir ; un migrant érythréen serait parvenu à Paris mais les autorités françaises devraient le reconduire ici, ou encore un groupe d’une vingtaine de Somaliens seraient parvenus courageusement à traverser par la montagne plus au nord… “Ces gens passent comme autrefois dans la montagne. La situation revêt quelque chose d’une autre époque” raconte Angelino, un sexagénaire italien citant aisément Primo Levi et Antonio Gramsci, “Si j’avais encore un peu de courage, avec ma voiture, je les amènerais par les petites routes, comme un pied de nez aux autorités françaises”.
Un sentiment anti-Hollande, parfois même anti-français
Ici, dans la bouche des habitant de Vintimille, un sentiment étrange, anti-Hollande, parfois même anti-français est entretenu par les médias dominants italiens : “Paris rejette l’Italie” titrait par exemple ce matin un quotidien de Gènes. En effet, les interpellations de sans-papiers dans une zone transfrontalière sont soumises à la législation européenne que la France persiste à piétiner. Certes, selon les accords de Dublin, les personnes en situation irrégulière doivent être réadmises dans le pays d’où elles viennent, en l’occurrence l’Italie, mais « les contrôles systématiques, comme c’est le cas depuis jeudi sont illégaux dans la mesure où ils nient la notion d’espace Schengen« , explique Laurence Hardoin, avocate et membre de la Cimade.
Le préfet des Alpes-Maritimes, Adolphe Colrat, tente de se défendre en évoquant qu’un nombre record de 1 439 migrants illégaux a été appréhendé dans le département (parmi eux, environ un millier auraient été réadmis en Italie). A Vintimille, les déclarations du président du Conseil, Matteo Renzi, occupent toutes les conversations, à savoir l’exigence de “plus de solidarité de la part des États membres de l’Union européenne”. Renzi menace même d’un « un plan B« , une régularisation tous les migrants présents en Italie, ce qui leur permettrait de gagner légalement le reste de l’Europe. La visite, cette semaine, de François Hollande en Italie, clarifiera peut être le bras de fer de l’Italie et des autorités françaises.
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