Reprenant sa « Vie de Galilée », Jean-François Sivadier rappelle avec Bertolt Brecht les multiples façons de résister dans un monde où tout concourt à nous faire plier.
Dès les premières minutes, Jean-François Sivadier fait sauter le verrou dépeignant le théâtre de Bertolt Brecht comme distancié, didactique et ennuyeux. Tordant le cou aux idées reçues sur l’air de, puisqu’on reproche à Brecht sa pédagogie, “on va vous en donner, et vous en redemanderez…”, le spectacle débute alors par une impayable leçon d’astronomie.
Une performance comique où Nicolas Bouchaud (Galilée) fait le mime pour expliquer les mouvements des planètes en une suite de drolatiques charades gestuelles qu’un jeune enfant est à même de comprendre. Face à lui, l’incroyable Stephen Butel (Andreas) incarne le cancre à la langue bien pendue qui argumente du bon sens de son ignorance en prenant à témoin le public.
Mettant les rieurs de son côté, mais pour la bonne cause, Jean-François Sivadier renouvelle la formule des improvisations tout au long du spectacle, dès qu’il sent l’urgence de créer un appel d’air pour faire tomber ce fameux quatrième mur qui menace sans cesse de se redresser entre scène et salle. La simplicité de sa scénographie (un plancher à claire-voie qui ménage ses effets en révélant au compte-gouttes des ressources dignes des usages d’un couteau suisse) s’accorde à merveille avec le jeu d’une troupe qui n’hésite pas à porter le nez des clowns pour en appeler à l’ironie du rire quand redoublent les périls. Tout concourt à faire de la reprise de cette Vie de Galilée, créée en 2002, un spectacle nécessaire pour qui se questionne sur l’idée de résistance.
Bertolt Brecht fait preuve d’une lucidité prémonitoire
Dessinant le portrait du savant sous les traits d’un antihéros aussi génial que dionysiaque qui préfère, sans abandonner une seule de ses idées, passer pour un traître que finir en tas de cendres sur le bûcher de l’Inquisition, Brecht, condamné à l’exode dès 1933 avec l’arrivée au pouvoir des nazis et obligé de se renier face au maccarthysme, reconnaît en Galilée un vrai compagnon de route. Un frère d’armes dans les épreuves qu’il traite comme son double dans l’éloge d’une détermination à survivre se revendiquant d’abord de la jouissance d’exister.
Reste que la leçon de Brecht ne se limite pas à ce qui, pour nous, est du domaine de l’histoire. Sa lucidité s’avère prémonitoire quand il fait dire à Galilée : “Au point où en sont les choses, le mieux que l’on puisse espérer est une lignée de nains inventifs qui loueront leurs services à n’importe quelle cause.” Et d’enfoncer le clou là où ça fait mal : “Notre époque s’est avérée être une putain maculée de sang et peut-être que les ères nouvelles seront encore des putains maculées de sang.” Au vu de la situation présente du monde, on ne saurait mieux dire.
La Vie de Galilée de Bertolt Brecht, mise en scène Jean-François Sivadier, avec Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, jusqu’au 21 juin au Monfort Théâtre, Paris XVe, tél. 01 56 08 33 88, lemonfort.fr