Maître étalon français du “hip-hop/jazz mélancolique et instrumental”, frère d’âme de l’esthète DJ Shadow, le Parisien DJ Cam s’est affranchi en trois albums des étiquettes et des grosses ficelles qui les entourent. Aujourd’hui réédité et célébré par un album de la série DJ Kicks, ce solitaire respecté en Angleterre et adulé au Japon vise à […]
Maître étalon français du « hip-hop/jazz mélancolique et instrumental », frère d’âme de l’esthète DJ Shadow, le Parisien DJ Cam s’est affranchi en trois albums des étiquettes et des grosses ficelles qui les entourent. Aujourd’hui réédité et célébré par un album de la série DJ Kicks, ce solitaire respecté en Angleterre et adulé au Japon vise à capturer l’essence d’une musique cultivée et hors limite.
A écouter ses disques de hip-hop instrumental mélancoliques et gracieux, à observer son visage fin au regard grave sur les photos, on aurait pu imaginer DJ Cam en jeune homme romantique, timide et réservé, en doux rêveur replié sur sa collection de disques. Il faudra s’y faire, Laurent Daumail est remuant, souriant, blagueur et passionné. Version moderne et très « tendance » du titi parisien, DJ Cam dont la notoriété a enfin dépassé cette année, au troisième album, le cercle restreint des initiés est à la fois un amoureux de jazz et de hip-hop dont le parcours ne déroge en rien à celui du B-boy classique. Si ce n’est le milieu social : embrassant du regard son lumineux duplex du xivème arrondissement de Paris ouvrant sur une charmante ruelle intérieure fleurie, il reconnaît sans complexe être plus proche de la jeunesse aisée de la rive gauche que de celle des cités de Saint-Denis. « Mon père patron d’un restaurant m’a fait découvrir le jazz, de Billie Holiday à Duke Ellington, et ma mère, la musique classique. J’ai eu la chance de ne pas avoir droit à toute cette atroce culture variété française. »
Adolescent, c’est le funk qui nettoie en priorité ses fonds de poche « Cameo, Clinton, Prince, Earth Wind & Fire, Kool & The Gang et même des trucs ringards comme Imagination » avant que le virus du hip-hop et du rap ne le gagne au travers du tag, auquel il se livre avec ses copains d’école. « Je signais déjà Cam. Avec mon posse, les Erotic Warriors, nous écumions les xivème, xvème et vième arrondissements. Nous étions toujours respectueux des statues et des oeuvres d’art mais nous nous sommes fait courser plus d’une fois par les flics quand nous ne terminions pas au poste. Notre plus mémorable coup d’éclat fut de bomber d’énormes tags en couleurs dans un petit village à 300 bornes de Paris, où le graf était perçu comme une menace. Nous étions en 1982 et le tag allant de pair avec le rap, j’ai plongé dans toute la vague de l’époque. Il y avait là une énergie qu’on ne trouvait pas ailleurs : la rythmique était énorme, la technique du scratch me fascinait, les MC’s cartonnaient et les samples m’étaient familiers, puisqu’ils provenaient de tout bon bagage musical jazz et funk. Je n’en suis plus sorti. » Laurent, qui ne fait jamais les choses à moitié, s’engage alors très vite sur la voie du DJ. « A 15-16 ans, j’ai investi merci mes parents dans une table de mixage et deux platines et je me suis consacré au scratch deux heures par jour dans ma chambre. Ensuite, vers 17 ans, avec mes complices de graf, nous avons commencé à organiser des soirées hip-hop. Nous mixions toute la nuit, en général devant trois cents personnes deux cent cinquante Blacks, vingt filles et trois Blancs (rires)… La meilleure école, car lorsque nous étions mauvais, les mecs n’hésitaient pas à nous balancer des bouteilles. »
Viendront ensuite les déflagrations rappologiques telles que Ice T « J’ai écouté son album Power des milliers de fois et son passage à l’Elysée Montmartre avec tout le Rhyme Syndicate fut mon premier concert rap » , Public Enemy « Non seulement paroles et musiques étaient mortelles, mais leur concept scénique et leur charte graphique auront marqué le siècle » , Eric B & Rakim « Les maîtres incontestés » ou DJ Premier de Gangstarr « Le roi de la planète »… Des découvertes qui vous accrochent à un mouvement à vie, malgré la déception du tournant pris depuis quelques années par le rap. « Avant, j’achetais quatre bons albums par semaine ; aujourd’hui, c’est l’invasion des merdes. » De quoi transformer infailliblement le plus pur B-boy en « nostalgique de la grande époque ».
Par chance, fin 93, la beauté du single-manifeste Influx de DJ Shadow lui révèle une nouvelle façon d’envisager le hip-hop. « A l’origine, je voulais faire du rap mais je ne trouvais aucun rapper intéressant avec qui travailler. Avec DJ Shadow, j’ai réalisé que le hip-hop instrumental concernait d’autres que moi et qu’il avait un potentiel commercial. Mais je ne veux surtout pas être labellisé trip-hop, je suis toujours resté hip-hop à fond. »
Ses études de commerce lui ayant appris les ficelles du business « Je suis blindé car l’industrie du disque est presque aussi pourrie que le milieu de la finance » , DJ Cam fut l’un des tout premiers avec son complice Chris de Yellow Productions à miser sur la liberté contre la sécurité en montant, il y a quatre ans, son propre label, Streetjazz. Rebaptisé depuis Inflammable Records et signé en distribution sur une major, son label consacrera ses deux premières sorties à d’obscurs groupes de jazz des seventies. Son premier album autoproduit, Underground vibes, techniquement naïf mais gravement inspiré, passera largement inaperçu en France à sa sortie, il y a deux ans, pâtissant de quelques mois d’avance de l’éclosion de la vague « abstract hip-hop ». Sa première salve ne tombe pas pour autant dans l’oreille d’un sourd outre-Manche, où Massive le vante, aiguisant l’intérêt des curieux. « Underground vibes reste mon album favori, je m’en souviens comme d’une étape exploratoire où je me suis fait vraiment plaisir. Cet album est bourré d’erreurs mais c’est peut-être ce qui me le rend plus attachant. Et puis il contient mon morceau fétiche, Dieu reconnaîtra les siens, qui a depuis fait le tour de la planète. »
Un faible qu’il ne partage pas en revanche pour son troisième album, Substances (le second était un live aux Transmusicales reprenant en partie les titres du premier album), pour lequel DJ Cam avait eu l’audace d’aller butiner dans d’autres pâturages : house, jungle ou ambient. Des exercices de style auxquels, c’est juré, on ne le reprendra plus. Pour autant, Laurent n’a pas prévu de se barricader à vie dans le style « hip-hop/jazz mélancolique » auquel il tenait tant il y a deux ans. La raison première en est l’épineux casse-tête auquel les DJ’s-compositeurs tels que lui sont souvent confrontés : celui de transposer sur scène et en clubs, où ils sont régulièrement invités à se produire, une musique composée en chambre et peu taillée pour le dance-floor. « Lorsque je compose, je m’inspire de la musique des autres : je repère les samples pour leur beauté et je construis mon morceau autour. Je n’ai jamais eu la prétention de faire du neuf : un morceau de DJ Cam, c’est souvent une synthèse de six morceaux que j’ai aimés. Je ne cherche pas non plus à donner à tout prix dans la mélancolie : il se trouve simplement que les titres qui m’accrochent ne sont jamais joyeux. En revanche, lorsque je mixe en boîte, le registre n’est pas le même : c’est 100 % hip-hop breakbeats pour faire danser le public. Forcément, la différence entre mes disques et ma playlist en soirée crée un malentendu, mais il se manifeste davantage en France qu’à l’étranger, où les gens sont plus ouverts. A la party Manumission, à Ibiza, j’ai joué le 14 juillet devant deux mille personnes déchaînées. J’ai aussi joué au festival anglais de Tribal Gathering en mai. De 6 h 30 à 8 h 30 du matin. J’étais malade, il faisait froid, le son était plat et limité à 94 décibels mais le dance-floor était plein et à la fin, les gens ont applaudi et sont venus me féliciter. En France, c’est une autre mentalité : ils ne peuvent pas s’empêcher de réclamer mes morceaux sans comprendre que passer Innervision à 1 h du matin, c’est un coup à foutre la soirée en l’air. Mais ça m’a fait réfléchir et l’orientation de mon prochain album en découle : il sera nettement plus dansant. J’ai aussi envie de changer de son : toujours hip-hop à fond, mais avec beaucoup de voix, de scratches, de rythmiques sales, mais moins de samples ou alors très trafiqués. »
Si la notoriété et le talent d’un DJ se mesurent à l’aune de ses remixes, alors DJ Cam est très connu et très talentueux, lui que l’on retrouvait récemment au chevet d’Autour De Lucie, Elysian Fields, Menelik ou Daphreefunkateers. Pourtant, ses derniers travaux ont de quoi laisser perplexe : Blanche-Neige et les sept nains pour Walt Disney « Ils ont décidé de faire remixer tout leur catalogue pour le rajeunir » et sa collaboration douteuse avec Carole Laure, la Blanche-Neige québécoise. « Nous avons sympathisé en studio. Plus tard, j’ai découvert que sa discothèque était très hip-hop. Alors je lui ai dit « Comment se fait-il que tes disques soient si country ? » Elle m’a répondu qu’elle aimait sincèrement les deux. C’est la raison pour laquelle j’ai accepté de travailler pour elle. »
Nettement plus logique est sa participation au nouvel album de DJ Krush pendant japonais de DJ Shadow sur le label Mo’Wax qui, selon Cam, est « le dieu du hip-hop au pays du Soleil-Levant » avec lequel il partage une même sensibilité hip-hop/jazz. « Nous nous admirons mutuellement depuis des années et j’étais très excité à l’idée de le rencontrer en studio à New York. Je lui ai filé des samples qu’il a retravaillés à sa façon, nous avons scratché mon album et rajouté du rap japonais. Je suis allé deux fois au Japon où je n’ai jamais autant signé d’autographes. J’adore le milieu hip-hop japonais parce qu’il est très militant, voire intégriste. Là-bas, on guillotinerait Puffy Combs et Snoop ; tout le rap merdique de la Côte Ouest est totalement boycotté. En plus, les B-boys japonais ont une humilité que les Français n’ont pas : après trois soirées à Sarcelles, les Français ne passent plus les portes. Là-bas, durant le soundcheck, on entend un type scratcher comme une bête et on se rend compte qu’il s’agit du type chargé de déballer les caisses de matériel. Ils bossent la technique à fond avant de se la jouer en panoplie Tommy Hillfiger. » Pour Cam, pas besoin de panoplie : même en tenue discrète, les hôtesses de l’air (Paris/Ibiza) lui réclament des autographes et lui susurrent en battant des cils : « J’ai encore écouté votre album avant de partir. » Le signe qu’un artiste a décollé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}