Deux romans s’approprient la figure de l’escroc financier, symptôme de l’époque, pour mieux capter notre temps et dévoiler des mécanismes psychologiques universels.
Christophe Rocancourt, Jérôme Kerviel, Bernard Madoff. Trois figures d’escrocs financiers qui ont récemment défrayé la chronique. Trois mystificateurs de haut vol, dont l’art de la persuasion (et les détournements de sommes inimaginables) suscite autant l’admiration chez certains, que le dégoût chez d’autres. Ils ont inspiré le cinéma (notamment deux chefs-d’œuvre, Abus de faiblesse de Catherine Breillat et Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese) ; Kerviel a commis une biographie au titre éloquent – L’Engrenage : mémoires d’un trader (Flammarion) –, Rocancourt, quant à lui, a signé plusieurs livres (des thrillers financiers principalement).
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Eminemment romanesque, le personnage de l’arnaqueur du XXIe siècle, version fonds d’investissement et paradis fiscaux, se retrouve aujourd’hui au cœur de deux romans. Dans Les Bandits, du Mexicain Jorge Volpi, un directeur d’un fonds d’investissement s’adresse au lecteur depuis son exil, après avoir détourné des milliards de dollars. Dans son deuxième roman paru chez P.O.L, La Salle, Joël Baqué suit le parcours d’un rogue trader à la française.
Les deux livres racontent la crise du point de vue non pas de ceux qui la subissent mais de ceux qui l’orchestrent. Maîtres de Wall Street ou de la Bourse de Paris (“la Salle”), ils s’enrichissent en revendant de la dette, pendant que le monde s’écroule. Tous deux sont happés par le cercle vicieux de l’avidité ; tous deux ne considèrent les rapports humains qu’en termes de monnaie d’échange. Hybris et libido se mêlent, l’argent appelant le sexe. On découvre les ressorts psychologiques inouïs qu’ils développent face à l’inavouable de leur responsabilité : le personnage de Baqué perd les pédales et se transforme en algorithme, comme s’il devenait l’un des systèmes calculateurs qu’il affectionne tant ; Noah, le héros de Volpi, se réfugie dans le cynisme afin d’assumer sa nature profonde de salaud.
L’obscénité de l’époque
Chacun développe une névrose symptomatique de son pays : le Français est obsédé par son manque de diplômes et sa place sur l’échelle sociale, l’Américain par l’histoire de son pays et ses parts d’ombre (l’après-Seconde Guerre mondiale notamment, où les bases du capitalisme contemporain furent conçues par des hommes comme son père, économiste de renom qui se révèle être en fait un agent communiste). Ils évitent aussi de tomber dans le moralisme de bon aloi vis-à-vis du capitalisme pour mieux décrire l’obscénité de l’époque, peut-être même une certaine beauté et sa dimension baroque (on pense parfois à J. G. Ballard et Michel Houellebecq).
Pour aller plus loin, on recommande Histoires d’escrocs (L’Olivier), la passionnante trilogie d’histoires littéraires que Jean-Michel Rey a consacrée au sujet en se replongeant dans les œuvres de Thomas Mann, Alexandre Dumas ou encore Herman Melville.
Les Bandits de Jorge Volpi (Seuil), traduit de l’espagnol (Mexique) par Gabriel Iaculli, 448 pages, 22 €
La Salle de Joël Baqué (P.O.L), 256 pages, 16 €
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