Inconnue il y a trois ans, Agnès Martin-Lugand connaît le succès avec ses romans pleins de bons sentiments. Comme avant elle Philippe Delerm ou Muriel Barbery. Que se cache-t-il derrière ces “miracles” éditoriaux ?
Si vous voulez donner une leçon d’humilité au critique littéraire, cet être fat et arrogant, confrontez-le au tableau des meilleures ventes de livres. Son petit sourire satisfait s’effacera aussitôt. Car il a beau chercher, il trouve rarement dans ce classement un seul des romans qu’il a défendus avec ardeur. Pire, il y découvre des titres et des auteurs dont il n’a jamais entendu parler. Ses certitudes s’effondrent, son monde s’écroule, le critique se reconvertit dans le soufflage de verre.
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Prenons les meilleures ventes de la semaine du 4 au 10 mai 2015. Outre les incontournables Musso et Levy, les Dupont et Dupond de l’édition, figurent un certain Bernard Minier (on ne connaissait que Bernard Minet, le Musclé), auteur d’Une putain d’histoire (putain de titre), Michel Bussi (qui ressemble vraiment beaucoup à Marc Levy) ou encore Agnès Martin-Lugand. Ces auteurs d’improbables best-sellers, qui sont-ils, d’où viennent-ils, quels sont leurs réseaux ?
Les clichés s’empilent, les phrases plates aussi
Le cas Agnès Martin-Lugand, par exemple. Son succès fleure bon le conte de fées. Psychologue trentenaire, la jeune femme se lance en 2012 dans la grande aventure de l’écriture en auto-éditant son premier roman Les gens heureux lisent et boivent du café. Repéré par l’éditeur Michel Lafon, le livre devient un phénomène : 300 000 exemplaires vendus. Les droits viennent même d’être achetés par Hollywood. La suite, La vie est facile, ne t’inquiète pas, est sortie il y a peu. On y retrouve Diane, une jeune veuve qui a créé un café littéraire dans le Marais parisien et qui tente de se reconstruire. Les clichés s’empilent, les phrases plates aussi. En guise de personnages, des caricatures : le meilleur copain pédé et fêtard, la copine grande gueule au grand cœur, l’amoureux bien gentil bien con, l’amant ombrageux-sexy.
Rien d’original dans ce roman qui n’est finalement qu’un mauvais mix de succès éprouvés. Le titre rappelle quand même énormément Je vais bien, ne t’en fais pas d’Olivier Adam et on trouve chez les deux auteurs les mêmes plages battues par les vents. Quant à l’histoire, entre mélo et comédie romantique, c’est une resucée de La Délicatesse de David Foenkinos. En pire.
Des livres-doudous pour aider les grands enfants à s’endormir
Ces best-sellers qui semblent sortis de nulle part sont en réalité très standardisés. Tout comme le storytelling qui les entoure. On nous fourgue un livre mais aussi la belle histoire de son auteur. Toujours la même : celle de l’écrivain inconnu et sans réseau qui, après avoir essuyé de nombreux refus d’éditeurs, rencontre un large public par la grâce de son talent et de son “humanité”.
Souvenez-vous de La Première Gorgée de bière de Philippe Delerm, de L’Elégance du hérisson de Muriel Barbery. Des “feel good books” interchangeables et rassurants qui s’avalent comme un pot de crème glacée, parfum petites joies simples et bons sentiments ; des livres-doudous pour aider les grands enfants à s’endormir en leur faisant miroiter que la vie est un petit ru tranquille. Le plus ironique, c’est qu’Agnès Martin-Lugand – comme Muriel Barbery – vante les vertus de la littérature dans ses livres. Sans jamais en faire. Un beau numéro d’illusionniste.
La vie est facile, ne t’inquiète pas d’Agnès Martin-Lugand (Michel Lafon), 320 pages, 16,95 €
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