[Russell Banks est mort le 7 janvier. Pour le garder en mémoire, nous vous invitons à relire cet entretien daté de 2015, à l’occasion de la publication de “Un membre permanent de la famille”. ]
Dans son sixième recueil de nouvelles, l’écrivain américain saisit ces moments où la vie bascule. Rencontre.
Pourquoi des nouvelles ?
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Russell Banks – Après quatre romans d’affilée, je me sentais épuisé et j’avais besoin de me reposer. Je n’avais pas écrit de nouvelles depuis 2001. C’est une forme littéraire complètement différente du roman. C’est plus intime, l’écrivain doit être plus proche du lecteur et du personnage, et se concentrer sur un moment et non sur toute une vie. J’avais accumulé des notes, des articles de journaux, et je m’en suis servi pour écrire ces douze nouvelles. Je me sens plus fort maintenant et je vais pouvoir retourner au roman.
Tout tourne autour d’un détail, souvent insignifiant, qui fait tout basculer…
Je savais que ce qui devait suivre dans leur vie serait différent d’avant. Ce sont souvent des choses infimes, parfois juste un geste, qui influent sur l’intimité, plus que de grands événements. Dans “Transplantation”, c’est au moment où une femme veut écouter le cœur de l’homme à qui on vient de greffer celui de son mari mort qu’il se passe quelque chose chez cet homme. Il suffit qu’il lui demande si elle veut qu’il retire sa chemise pour qu’on comprenne qu’il est en train de changer : c’est la première fois qu’il propose de faire quelque chose pour quelqu’un.
Vous livrez une image très dure de la famille…
Oui et non. Ces histoires disent à quel point la famille est importante pour les individus, mais aussi que c’est une structure très fragile, surtout dans nos sociétés occidentales. Toute la tension tourne autour de ces deux pôles : le besoin de familles et leur désintégration. L’économie est fragile aussi, tous mes personnages ont des problèmes d’argent.
Le problème, c’est que l’autre reste toujours insaisissable ?
Connaître un autre humain, ses secrets, sa vie intérieure, est impossible. La seule façon que nous avons de les comprendre, c’est la littérature. Seul l’art aide à montrer l’intériorité des êtres, même mieux qu’ils n’en ont conscience eux-mêmes. La fiction moderne, depuis Cervantès, nous ouvre la psyché des êtres. Plus seulement les héros, ça s’est démocratisé et ouvert aux gens ordinaires. Pour cela, vous devez ressentir une vraie connexion avec vos personnages : vous ne pouvez ni les juger, ni sentimentaliser. Il faut parvenir à leur être très proche, même plus proche qu’avec l’amour de votre vie. La réalité, c’est qu’on a tous peur les uns des autres, on se protège beaucoup, mais l’écrivain ne doit pas se protéger de ses personnages, même s’ils sont cruels et horribles.
Comment écrivez-vous ?
J’écris tous les jours, dans un studio à l’extérieur de la maison. Et puis j’essaie de ne pas savoir ce que je fais. Il faut accepter de travailler sans savoir. Et plus je vieillis, plus c’est difficile, car j’ai développé ma technique. Le risque pour les écrivains âgés est de répéter ce qu’ils ont déjà fait. Alors quand je commence un livre, j’essaie toujours de me faire croire que je ne sais rien.
Un membre permanent de la famille (Actes Sud), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Pierre Furlan, 240 pages, 22 €
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