Concernant Eric Woerth, les juges de Bordeaux sont assez éloignés du triomphalisme revanchard du congrès des Républicains.
C’était beau comme un congrès fondateur qui trouve son héros, émouvant comme un homme injustement accusé qui retrouve son honneur. Une semaine après, j’en reste encore parcouru de frissons. Il faut dire que porte de la Villette, devant une foule enthousiaste de 10 000 personnes péniblement rameutées au lieu des 20 000 prévues, Nicolas Sarkozy a su trouver les mots, promettant, une fois les choses rentrées dans l’ordre, “une République où les droits de chacun seront respectés à la différence de ce qu’a vécu notre ami Eric Woerth, après cinq années d’insultes et de procès médiatiques. Nous sommes heureux d’accueillir parmi nous un très honnête homme et un républicain : Eric Woerth”.
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C’était évidemment de bonne guerre, Sarkozy pensant très fort à ses propres et menus ennuis judiciaires, pas du tout près de s’éteindre. Mais c’était aussi très drôle, cette façon de se décerner des brevets d’honnêteté et de fibre républicaine, entre soi, sans le moindre risque d’être contredit. Peu après, on apprenait que Woerth avait pris du galon et qu’il était chargé de concevoir le projet présidentiel desdits républicains.
Ce qui tombe bien, puisque le “très honnête” Eric regorge d’idées originales en matière économique et sociale : suppression des 35 heures et des jours fériés, baisse de l’indemnisation du chômage et du smic, scandaleusement élevé, il est vrai, et fin de l’ISF, car la plaisanterie a assez duré. Sans oublier l’essentiel : recul de l’âge de départ à la retraite et minijobs à l’allemande pour tous ces feignants. Le tout exposé dans un puissant ouvrage, Une crise devenue française (Editions de l’Archipel).
Et dire que ce si nécessaire projet aurait pu capoter si les juges du tribunal correctionnel de Bordeaux avaient la même définition de ce qu’est une preuve que nous autres, pauvres citoyens pas forts en droit. Dans leur infinie sagesse, ils ont relaxé Eric Woerth dans les deux procédures liées à l’affaire Bettencourt dans lesquelles il était poursuivi : recel d’abus de faiblesse (obtenir beaucoup de sous, en douce et en liquide, pour la campagne 2007 de Sarkozy) et trafic d’influence (“caser” son épouse dans la société financière des Bettencourt, en échange d’une Légion d’honneur pour le chargé d’affaires Patrice de Maistre, lourdement condamné, lui).
En écrivant noir sur blanc, et non sans un certain humour, que leurs décisions étaient motivées par la prescription, des doutes profitables au prévenu ou l’absence de preuves formelles, les juges de Bordeaux sont assez éloignés du triomphalisme revanchard du congrès des Républicains.
Par exemple, à propos du recel d’abus de faiblesse : “Au vu des agendas des différents protagonistes, des déclarations de Claire Thibout (la comptable des Bettencourt – ndlr), des rendez-vous préalables, des remises d’argent provenant de Suisse, il apparaît peu probable que les rendez-vous de janvier et février 2007 entre Patrice de Maistre et Eric Woerth n’aient eu pour seul objectif que de parler de la carrière de Florence Woerth et de l’avenir des petites entreprises. Il existe donc une forte suspicion de remise d’argent des fonds Bettencourt.” Mais les juges ajoutent : “Sans que la démonstration de la remise ne soit totalement acquise.” Ce “totalement” est délicieux, n’est-ce pas ? Cette “forte suspicion” est sublime.
Alors ? On cite Jean de La Fontaine et on s’énerve, comme d’habitude, en rappelant qu’on prend de la prison ferme pour des chèques sans provision, dans notre cher pays ? Ou on se dit que ces juges drôles et scrupuleux sont l’honneur d’une justice admirable et équilibrée au gramme près, somme toute ? Plutôt de La Fontaine, une fois de plus, la morale des Animaux malades de la peste : “Selon que vous serez puissant ou misérable/Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.” Un tube qui n’est pas prêt de s’user, au train où vont les choses.
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