Le scénariste de François Truffaut, Jean-Luc Godard et Alain Resnais s’est éteint à l’âge de 91 ans.
Il avait failli monter les marches de Cannes le mois dernier, lors de la présentation en compétition de Marguerite et Julien, le film de Valérie Donzelli, dont il avait écrit le premier scénario au début des années 70 (mais on l’aperçoit dans le film, dans le rôle d’un des trois juges). Il était déjà très malade. Il allait fêter ses 91 ans le 3 août prochain.
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– Qui ça ?
– Jean Gruault.
– Qui donc ?
– L’un des scénaristes les plus importants de François Truffaut : Jules et Jim (d’après le roman d’Henri-Pierre Roché), L’Enfant sauvage, Les Deux Anglaises et le continent (toujours d’après Roché), L’Histoire d’Adèle H. et La Chambre verte. Et ce scénario jamais tourné, donc, Histoire de Julien et Marguerite (mais qu’on peut lire, car il a été publié aux éditions Capricci).
– C’est tout ?
– Non, il a aussi travaillé avec Alain Resnais : Mon oncle d’Amérique, La Vie est un roman, L’Amour à mort. Et puis Jacques Rivette: Paris nous appartient, La Religieuse. Sans compter Golden Eighties avec Chantal Akerman. Ses premiers pas de scénariste (auparavant, il était comédien), il les avait faits avec rien moins que Roberto Rossellini (Vanina Vanini puis le génial La Prise du pouvoir par Louis XIV) que Truffaut lui avait présenté. Gruault, qui avait été séminariste quand il était très jeune, adorait Rome. Surtout ce quartier du Parioli où vivait toute la famille Rossellini, à laquelle il était resté très attaché. Il en parle magnifiquement dans son livre de souvenirs un peu fou, publié en 1992 chez Julliard : Ce que dit l’autre (lecture hautement recommandée).
– Tout ça ?
– Et Les Carabiniers de Godard, c’est qui, selon vous, écrit d’après un enregistrement d’une conversation avec Rossellini ?
– Ah, la Nouvelle Vague, tout ça, oui, je vois…
– Oui, la Nouvelle Vague (il les avaient tous connus tout petits sur les bancs de la Cinémathèque et des cinéclubs, dans les années 40-50, c’étaient ses amis, vous comprenez, les Truffaut, Chabrol, Rohmer, Godard, etc.). Il n’y a donc, comme vous le voyez bien, que les ignares qui croient que la NV a détruit le scénario et le métier de scénariste. Gruault en était la preuve vivante et bien vivante.
– Pourquoi, « bien vivante » ?
– Parce qu’avec Jean Gruault, c’est non seulement l’un des plus grands scénaristes de l’histoire du cinéma qui disparaît, mais aussi une personnalité peu commune. Un homme chaleureux, impertinent, curieux, qui ne lâcha jamais le cinéma – à moins que ce ne soit l’inverse. En 2007, à 83 ans, il avait fondé une maison de production dans l’unique but de produire Mafrouza, un long poème documentaire en cinq parties d’une jeune cinéaste nommée Emmanuelle Demoris, film incroyable sur la vie dans un quartier d’Alexandrie. Je me souviens qu’à la sortie de la projection de la première partie, au festival de Belfort, devant mes quelques réticences un peu bébêtes, il m’avait gentiment charrié, précisant que le film « était trop en avance pour Les Inrocks », que nous ne pouvions pas comprendre… Mais il n’y avait pas de méchanceté dans ce sourire de petit garçon frondeur, juste de la passion et de la malice : il adorait le film qu’il avait aidé à exister. Alors on avait ri. Et puis on avait parlé du Livre de mes rêves de Fellini qu’il venait d’acquérir après avoir lu l’article qu’on lui avait consacré.
– Pourquoi vous avez les yeux embués ?
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