Utile et pas futile, le reggae ivoirien de Tiken Jah Fakoly s’apparente, en période de crise aiguë, à un authentique acte de salut public. Afro-reggae Sorti en Côte d’Ivoire voici un an, cet album a précédé de quelques mois le coup d’Etat kaki qui vit l’ex-président Konan Bédié être destitué et un gouvernement militaire “provisoire” […]
Utile et pas futile, le reggae ivoirien de Tiken Jah Fakoly s’apparente, en période de crise aiguë, à un authentique acte de salut public.
Afro-reggae Sorti en Côte d’Ivoire voici un an, cet album a précédé de quelques mois le coup d’Etat kaki qui vit l’ex-président Konan Bédié être destitué et un gouvernement militaire « provisoire » prendre les affaires en main. Certains affirment qu’avec ce disque, et l’accueil qu’il reçut auprès de la jeunesse ivoirienne, Tiken Jah aurait pu jouer un rôle dans la chute de l’ancien chef d’Etat. Outre qu’il a contribué à rendre friable l’un des piliers les plus solides de l’Afrique de l’Ouest, Konan Bédié se sera distingué par sa fumeuse doctrine sur l' »ivoirité ». Dans un contexte économique et social hautement déliquescent, cette poussée de fièvre nationaliste favorisa la recrudescence d’actes xénophobes et aboutira à l’expulsion violente de plusieurs milliers de Maliens et de Burkinabés en novembre 99.
C’est donc à la restauration de certaines vérités historiques que s’est employé ici Tiken Jah Fakoly, dont le franc-parler excellait déjà sur le précédent album Mangercratie, pamphlet musical et mise en demeure adressée aux politiques à « faire leur boulot ». Ainsi répond-il avant tout aux nécessités du moment. Le danger d’amnésie est si réel que dans Nationalité, il donne un cours d’histoire tout ce qu’il y a de plus scolaire (il a même consulté quelques historiens) remontant aux origines de la constitution pluriethnique du pays, démontrant l’inanité d’une pensée qui voudrait que certains Ivoiriens le soient plus que d’autres.
Chantés en français et en diola, les textes n’ont d’autre finalité que de dire ce qui est. En s’écartant de leur fonction éducative, ils auraient sans doute gagné en richesse poétique. Mais c’est un luxe, une coquetterie, que le sérieux d’une situation donnée, semblant dicter à l’auteur son propos et sa grammaire, ne saurait accepter. Musicalement, il en va de même. Bien qu’il soit fils de griot, son engagement ne laisse guère de place au lyrisme ou aux vocalises qui ornent habituellement ce chant de caste.
Proche de Féla Kuti pour son entêtement à disqualifier les puissants, on lui trouve d’évidentes affinités avec Burning Spear, peut-être le moins conciliant des artistes jamaïcains, dans l’usage d’un reggae aussi solide que les convictions qui s’y nichent. Les cuivres, le chœur féminin, l’orgue en feutrine ponctuent, agrémentent, étoffent, mais dans la pondération. Cours d’histoire est en fait un disque de « musique utile », concept impensable, rebutant même, si on le considère selon les critères esthétiques européens.
Pourtant, il nous renseigne assez bien sur la consternante faillite de l’autorité politique dans cette partie du monde où les effets de la colonisation se font encore sentir. Car la plus haute vertu artistique que l’on puisse reconnaître chez un chanteur comme Tiken Jah Fakoly est bien celle qui aujourd’hui se révèle la plus nécessaire à la restauration du pays tout entier, mais fait le plus amèrement défaut au sein des élites qui en ont la charge : la responsabilité.