Hong-Kong star cartonnant aussi bien au Top Ten qu’à l’écran, de (John) Woo à Hou (Hsiao-hsien) en passant par Wong Kar-wai, Tony Leung est l’acteur qu’on préfère : un minimum d’effets pour un maximum de trouble. Par Olivier Nicklaus Photo Renaud Monfourny Ce qu’il y a de bien avec les stars du cinéma de Hong-Kong, […]
Hong-Kong star cartonnant aussi bien au Top Ten qu’à l’écran, de (John) Woo à Hou (Hsiao-hsien) en passant par Wong Kar-wai, Tony Leung est l’acteur qu’on préfère : un minimum d’effets pour un maximum de trouble.
Par Olivier Nicklaus Photo Renaud Monfourny
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Ce qu’il y a de bien avec les stars du cinéma de Hong-Kong, c’est leur discrétion. Et dans ce registre, Tony Leung Chiu-wai est la référence. Au dernier Festival de Cannes, c’est avec un calme olympien qu’il a reçu le prix d’Interprétation pour le rôle de Chow dans In the mood for love. Et pour la promo parisienne du film, il a beau porter un pull vermillon et être très coiffé, la clientèle internationale du palace où il donne ses interviews persiste à l’ignorer.
Cette classe minimaliste fait de lui l’acteur idéal pour le cinéma de Wong Kar-wai, chantre du spleen glamour. Il faut le voir, dans In the mood for love, fumer en regardant ses pieds ou froncer insensiblement les sourcils alors que Maggie/Li-zhen pose la tête sur son épaule. Voilà un acteur taillé pour le ralenti, pour les costumes sombres, pour les interrogations existentielles et amoureuses.
Cela dit, pop-star très appréciée (euphémisme) dans toute l’Asie, il n’a pas joué que des amoureux transis. Outre Wong Kar-wai et Hou Hsiao-hsien, la liste de ses metteurs en scène comprend Stanley Kwan (Love unto waste), Ching Siu-tung (pour Histoires de fantômes chinois iii, de sortie aujourd’hui), Tran Anh-hung (Cyclo) et surtout John Woo qui lui donne des rôles très physiques dans Une balle dans la tête et A toute épreuve. A 38 ans, Leung a toujours cette allure d’éternel adolescent qui devrait lui permettre, grâce au focus international sur son rôle dans In the mood for love, de s’imposer sur les autres continents, à l’instar de son compatriote Chow Yun-fat, d’autant plus qu’il vient d’être désigné homme le plus sexy du moment par le magazine américain People.
Comment est née votre vocation ?
Quand j’avais 6 ans, mon père nous a abandonnés. Jusque-là, j’étais très expansif, très extraverti. Mais dès lors, je suis devenu honteux de ne plus avoir de père. Je me suis mis à m’isoler des autres. J’ai appris à cacher mes émotions. En jouant, j’ai découvert que je pouvais enfin exprimer des émotions à travers le personnage, sans que personne ne soupçonne que c’est de moi qu’il s’agit. C’est très confortable. Et aujourd’hui, je dirais qu’il y a un deuxième privilège qui est la communication. Je ne sais toujours pas comment communiquer avec les gens dans la vraie vie. Je ne peux le faire que dans les films. J’ai très peu d’amis. Je n’aime pas parler. Je suis la plupart du temps seul chez moi. Ma copine (l’actrice Carina Lau, ndlr) aime sortir dans des fêtes avec des tas de gens, mais moi je flippe quand il y a du monde. Pour pouvoir me confronter aux autres, j’ai besoin de tourner ou de chanter, d’avoir ce filtre.
Et avec Wong Kar-wai, vous communiquez davantage ?
Nous sommes amis, mais on n’a pas besoin de tellement se parler. Même sur le plateau, il reste très mystérieux. On ne sait pas trop ce qui se passe derrrière ses lunettes noires. Il faut lui faire confiance, c’est la seule chose à faire. La seule fois où je me suis méfié, sur le tournage d‘Happy together, il m’a donné un faux scénario. Ce n’est qu’une fois en Argentine que j’ai compris que mon personnage était homosexuel. Et il était trop tard pour renoncer au projet ! Depuis, je le suis les yeux fermés.
Même sans scénario ?
Bien sûr. Pour un acteur expérimenté, travailler sans scénario est très stimulant. Parce qu’avec le temps, vous avez acquis beaucoup de technique, à la limite des stéréotypes parfois. Or, je veux casser ça, je veux être un nouvel homme à chaque fois. Sans scénario auquel se raccrocher, vous vous sentez d’abord mal à l’aise, mais vous cessez de jouer avec votre tête, vous êtes obligé de jouer avec votre c’ur. Vous devez vous abandonner. C’est le but du jeu.
Même pendant quinze mois ?
Beaucoup d’acteurs verront ça comme de la torture, mais je pense qu’il faut bien quinze mois pour obtenir tous ces petits détails qui font le film. La frustration et la fatigue étaient la seule façon de faire In the mood for love.
Vous n’avez jamais douté ?
Je sais que Maggie a beaucoup douté. Elle n’arrêtait pas de me demander « Mais tu crois que ça va marcher ? » Et je lui répondais « Ce n’est pas notre problème. Kar-wai fera le reste du travail. Pense juste à ressentir le maximum de choses. » Nous sommes acteurs, nous n’avons pas à organiser le film, ni à le monter. Peut-être voulait-il que nous paraissions très frustrés dans certaines scènes, donc il a créé ce contexte pour nous. Pourquoi ne pas le suivre ? Etre acteur, c’est ça : se laisser porter par ses émotions.
Quand avez-vous compris que votre personnage montrerait si peu ses sentiments ?
Au tout début du tournage. Mais ce n’est pas rigolo de jouer ce genre de personnage tellement dans la retenue. Comme vous cachez tout, vous n’avez aucune expression. Et puis, je ne comprenais pas pourquoi Chow développait une relation avec cette femme. A un moment donné, j’ai eu besoin d’éclaircissement. Et là, Kar-wai m’a parlé de revanche. Ça m’a bien aidé pour développer le personnage.
Cette idée de revanche est une vision noire du scénario. En voyant le film, on peut faire une lecture plus emballante.
Oui, c’est vrai. Mais pour moi, c’était la façon de jouer le personnage. Ce que ressent le public, c’est encore un autre problème.
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Lire aussi la critique du film page 48.
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