A La Villette, les cultures urbaines sous toutes leurs formes réconcilient la création avec ses dimensions sociales.
Que la breakdance ait été plus facilement accueillie par l’institution culturelle que le rap ou le graff n’est pas un hasard. Pas seulement à cause de son aspect spectaculaire et de ce grand écart qu’elle semble exercer entre la virtuosité physique des breakers et la paralysie, l’inertie sociale où elle éclôt, mais par ce goût affirmé pour toucher à d’autres styles, expressions ou formes artistiques en réfutant le cloisonnement, la « ghettoïsation » à outrance. Autrement dit, en négligeant le fonds de commerce habituel du hip-hop, même si, comme le rappelle Patricia Osganian dans un passionnant dossier Hip-hop, les pratiques, le marché, la politique, paru dans la revue Mouvements, « On a complètement inversé le sens du mouvement gangsta-rap et de la culture hip-hop alors que, justement, ils se sont créés aux USA pour éviter et endiguer la violence des gangs dans les ghettos. »
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Les compagnies invitées aux Rencontres 2000 métissent la breakdance ou le freestyle avec la capoeira (Accrorap), le cirque et les arts martiaux (Alexandre N’Possee), les claquettes (Funk Attitude), le théâtre et la vidéo (Namur Break Sensation et la Cie Victor B.), ouvrent la scène aux filles (Dominique Rebaud) et aux enfants (Josette Baïz). Une attitude propre au hip-hop français ? Il semblerait que oui, à en croire Gilles Rondot, directeur d’Accrorap : « C’est ce qui frappe tant à l’étranger quand nous sommes en déplacement : à la fois cette diversité esthétique et notre multiculturalisme. Il n’y a pas un seul autre pays avec autant de métissage ethnique et culturel que dans le hip-hop français. »
Le dénominateur commun, c’est l’urgence de dire. Et elle se partage à plusieurs. Lorsqu’il évoque le développement de la manifestation à La Villette, Philippe Mourrat, directeur des Rencontres, signale le renouvellement en profondeur des actions artistiques et culturelles émergentes, « qui sont le fait d’autodidactes, proches de l’art brut dans leur démarche, et de la volonté d’artistes ou d’institutions qui ont à c’ur d’inscrire au centre de leur projet un territoire, des habitants, une réalité sociale ». Quitte à dépasser le strict sujet de l’urbain pour s’adresser à tous les publics vivant l’exclusion : « l’hôpital psychiatrique, la prison, le milieu rural, la maison de retraite, le handicap ». C’est le cas du danseur américain Bill Shannon, handicapé physique et danseur hip-hop, avec The Art of weightlessness et, surtout, des spectacles de théâtre attendus cette année, notamment Un hangar sous le ciel, du Théâtre de l’Esquisse (Suisse), qui travaille depuis longtemps avec des handicapés mentaux, ou Barboni, de la Cie italienne Pippo Delbono, né de la rencontre du metteur en scène avec des clochards, des handicapés physiques et mentaux qu’il a formés au travail d’acteurs. Dédié à un clochard de Gênes qui, à sa mort, laissa une valise remplie de poèmes, Barboni se présente comme un singulier « zoo d’artistes de l’extrême ». « Zoo » et « extrême » se référant sans doute au regard généralement porté sur les exclus ; quant à « artistes », on peut imaginer que c’est une façon de mettre les pieds dans le plat. Que ce soit à travers les spectacles, les expositions, les concerts, les rencontres ou ateliers, les tables rondes et les films proposés, en associant le champ des cultures urbaines au défrichage des nouvelles initiatives, Philippe Mourrat balaie toute ambiguïté : « Il s’agit de mettre un terme aux conflits caricaturaux opposant une approche socioculturelle qui instrumentaliserait les artistes et réduirait l’art à des finalités sociales, et une approche artistique réduisant à la seule dimension esthétique la responsabilité des créateurs. » Ça va mieux en le disant…
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