J’ai été élevé par ma grand-mère Rose qui était franchement tyrannique : elle a refusé que j’aille à l’école avant l’âge de 7 ans. C’est elle qui m’a appris à lire et à écrire. Le premier livre que j’ai lu, c’est Jane Eyre de Charlotte Brontë. Je l’ai commencé à 5 ans et l’ai fini […]
J’ai été élevé par ma grand-mère Rose qui était franchement tyrannique : elle a refusé que j’aille à l’école avant l’âge de 7 ans. C’est elle qui m’a appris à lire et à écrire. Le premier livre que j’ai lu, c’est Jane Eyre de Charlotte Brontë. Je l’ai commencé à 5 ans et l’ai fini à 7. Au départ, je ne pouvais avancer que d’une demi-page par jour. Puis, progressivement, j’ai amélioré mon rendement. Je devais chercher un mot sur deux dans le dictionnaire.
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Vous vous en souvenez ?
Oui, mais je n’ai pas aimé ce livre si noir. Il vous faisait penser que la vie était très dure, qu’il fallait se battre. Il a malheureusement conditionné toute mon adolescence : j’attendais un rendez-vous avec la chance pour échapper à cette vie laborieuse.
Pourquoi votre grand-mère ne voulait-elle pas vous laisser aller à l’école ?
Elle ne tolérait pas d’autre adulte qu’elle autour de moi, que ce soit des professeurs, ma vraie mère, des policiers, n’importe quelle figure d’autorité, y compris d’autres élèves. J’ai dû dormir avec elle jusqu’à mes 13 ans. Quand j’ai atteint la puberté, elle me disait d’aller me branler au premier étage et de redescendre me coucher à côté d’elle quand j’aurais fini ! C’était une éducation très victorienne, sombre, gothique. Elle aurait voulu être une actrice, mais dans son milieu middle-class, être actrice était considéré comme être une pute.
Elle voulait devenir actrice : vous a-t-elle emmené au cinéma ?
Oui, et quand on rentrait dans sa chambre, elle m’asseyait dans le lit, sortait de derrière les rideaux et commençait à réciter les répliques de telle ou telle actrice, et j’applaudissais depuis le lit. C’est elle qui m’a appris le pouvoir du récit : elle était une extraordinaire raconteuse d’histoires.
Quels cinéastes ont été marquants pour vous ?
Définitivement, Jean-Luc Godard et Roger Vadim.
Jean-Luc Godard, on comprend, mais Roger Vadim, c’est déjà plus étonnant.
Parce que quand j’étais étudiant, Godard est venu faire une lecture dans un cinéma londonien. L’illustre critique du Guardian demanda à Godard « Qui est votre cinéaste préféré ? » Godard a répondu souverainement « Roger Vadim. » L’autre a failli tomber de sa chaise : « Pas Eisenstein ? » Godard insiste : « Non, Roger Vadim ! Mais pourquoi, Roger Vadim ? Parce qu’il est le plus grand amateur. » Sur le coup, je n’ai pas compris ce que Godard voulait dire, mais ces mots ont résonné dans ma tête pendant longtemps. Et un jour, j’ai compris : les amateurs n’ont peur de rien, ils peuvent changer les règles, peuvent s’autoriser à être des outsiders. Ils ne sont pas structurés, pas « professionnels ». Godard expliquait que Vadim a été le premier à mettre une caméra sous les draps, plutôt qu’au-dessus. J’ai adoré cette explication : ça vous donnait tellement l’impression que vous pouviez le faire vous-même. C’était une idée très punk-rock.
Vous souvenez-vous du premier disque que vous avez acheté ?
C’était Heart and soul, une vieille chanson de Broadway, chantée par deux surfeurs, Jan and Dean, à la fin des années 50. Mon deuxième disque, c’était Pretty little angel eyes par Curtis Lee. Le troisième, c’était I got stung par Elvis Presley.
Vous les écoutez encore ?
Je n’en ai pas besoin : ils sont dans ma tête. Je peux les chanter du début à la fin. La mémoire peut être très puissante, et ces chansons sont définitivement implantées dans mon cerveau. Après avoir quitté les Beaux-Arts, je passais mon temps à Portobello Road, ou d’autres brocantes encore plus miteuses comme Brick Lane, en fouillant dans les bacs à la recherche de disques de pop. J’ai dû en amasser 3 000. Et avec ces disques, j’ai cherché un endroit où je pourrais créer mon propre anti-monde, devenir sauvage, avoir mes propres lois, créer ma propre école artistique. C’est comme ça que je me suis retrouvé sur King’s Road pour créer mes propres magasins de mode au début des années 70.
Vous avez fait des études d’art : qui a spécialement compté pour vous ?
Il y en a tant ! La seule chose en commun entre tous les grands peintres je l’ai découvert en lisant leurs biographies , c’est que leurs vies ont été des échecs magnifiques. Mais désormais, la seule chose dont on se souvient, c’est le prix de leurs tableaux. Aujourd’hui, les musées laissent la place au commerce, les commissaires d’exposition sont les nouveaux artistes, et tous les artistes sont des commissaires d’exposition. On prend et on mixe. Moi-même, j’ai pris une série de machines à sous dans lesquelles j’ai remplacé les traditionnelles icônes par 2 000 fragments de ma vie. J’ai appelé ça Mon casino d’authenticité et de karaoké, deux mots qui résument pour moi la culture d’aujourd’hui. Karaoké : un monde où tout est à base d’imitation, où à force de s’inspirer du travail des autres, on ne prend plus aucune responsabilité. Et authentique : ce désir de creuser, de trouver des choses qui soient vraies. Le problème de la plupart des artistes d’aujourd’hui, c’est qu’ils veulent authentifier le karaoké (rires)… Cette guerre se retrouve sur Internet, entre ceux qui veulent tout vous vendre, faire du Web un énorme centre commercial, et ceux qui y donnent des informations gratuitement. Qui va gagner cette guerre définira la culture du xxie siècle. Le type qui a inventé Napster est le premier saint du xxie siècle.
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