Des Pensées noires qui mettent en perspective un siècle de musique black et son inlassable quête de modernité. Le quatrième numéro de Nomad’s land sera aussi (momentanément) le dernier. En attendant une renaissance bilingue prévue au-delà de l’an 2000, voici donc l’ultime livraison de la meilleure revue éditée en France ces dernières années. Plus lourde […]
Des Pensées noires qui mettent en perspective un siècle de musique black et son inlassable quête de modernité.
Le quatrième numéro de Nomad’s land sera aussi (momentanément) le dernier. En attendant une renaissance bilingue prévue au-delà de l’an 2000, voici donc l’ultime livraison de la meilleure revue éditée en France ces dernières années. Plus lourde (160 pages), moins chère (65 f) et aussi belle (notamment un portfolio des photos ondulées d’Ira Cohen et des peintures de Mati Klarwein), elle est sous-titrée Pensées noires. Hormis quelques hors-sujets de bon aloi (une histoire de Moondog, Le Journal de mes sons par Pierre Henry…), l’axe central d’exploration peut se résumer ainsi : comment la diaspora noire a-t-elle pu (culturellement) survivre à ce désastre humain que fut l’esclavage et pourquoi à travers le siècle, sa musique a toujours été le vecteur essentiel de la modernité ? Ainsi établi, le plan trouve dans la participation fulgurante d’auteurs connus et gravement compétents (Robert Palmer, Greil Marcus, Nelson George, Greg Tate) le cabinet d’architectes à la mesure du projet. Partant du remarquable essai de Paul Gilroy sur l’Atlantique noir, on se retrouve embringué dans ce feuilleton aux mille énigmes, où savoir quelle est l’origine du whooping dans le blues rural devient aussi crucial (et ludique) que l’élucidation du secret de l’Espadon. Tant l’ordre d’entrée en scène des sujets que les analyses qu’ils inspirent fournissent des pièces à conviction indiscutables dans l’échafaudage d’une théorie de la transformation des sons par l’histoire.
La musique restant pour les Noirs le domaine de prédilection où les limites, si sévères dans la réalité, peuvent être franchies, les genres musicaux qu’ils ont créés blues, jazz, soul, funk, dub portent en eux la marque de la transgression et ouvrent à l’imaginaire de nouveaux horizons à investir. « Transgresser » devient alors la seule alternative transitive au verbe « progresser ». Cette métaphore est clairement définie à travers le personnage mythique de Stagger Lee dont l’une des dernières et éblouissantes incarnations se réalisera en la personne de Sly Stone, Icare noir et black Narcisse, que dépeint Greil Marcus dans son fameux chapitre extrait de Mystery train. Voilà pourquoi de s’être inventé de nouvelles origines extraterrestres, bien plus satifaisantes que celles dont le destin les avait affublés, aura permis à Sun Ra, George Clinton et Lee Perry d’inventer du futur audible. Voilà pourquoi Miles Davis a réussi sur Bitches brew a transférer l’énergie du blues dans l’ère spatiale. D’avoir su ouvrir cette perspective et lui offrir de si riches et brillantes plaidoieries rend la lecture de ces Pensées noires absolument passionnante.
Nomad’s land Pensées noires - hiver-printemps 99 (Editions Kargo)
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