En proposant une programmation de haut vol et en mettant l’accent sur la convivialité et la proximité avec les artistes, le festival This Is Not A Love Song de Nimes se pose déjà avec sa 3e éditon comme un incontournable en France. Cette année, on a pu notamment y croiser Swans, Thee Oh Sees, Shamir, Allah-Las.
Pour sa troisième édition, le festival This Is Not A Love Song a choisi une programmation relevée, offrant le meilleur de l’indie-rock actuel, mais pas seulement : Swans, Shamir, Ariel Pink, Thurston Moore, Caribou, Interpol, Sun Kil Moon, Thee Oh Sees, Allah-Las ou encore Divine Comedy se partagent les festivités, ce qui est tout de même une gageure lorsqu’on observe ce que peuvent offrir les autres festivals en France. Ajoutons à cela un cadre relativement restreint, une ambiance pastorale et l’aspect convivial général de l’ensemble, et on se retrouve d’entrée de jeu avec le sentiment de tenir là une denrée rare.
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Le festival se déroule lors du même week-end que Primavera. Ce qui pourrait de prime abord apparaître comme un handicap se révèle en fait une volonté assumée des organisateurs. Comme Tinals (Pour This Is Not A Love Song, c’est plus court) se déroule à Nimes, qui est à 3 heures de route de Barcelone, il est ainsi plus aisé de convier des artistes exigeants qui passaient par là. Mais le festival français entend se détacher de son homologue ibérique en ne misant pas uniquement sur sa programmation de qualité : on le comprend très vite, avec les poufs disposés ça et là, les food trucks en pagaille et les activités proposées, l’esprit est avant tout à la détente et à la farniente. Les vacances, quoi.
Le festival se déploie ainsi : d’une part, Paloma, accueillant des concerts à l’intérieur, se divise en deux enceintes, la grande salle, et le petit club. D’autre part, il est possible d’assister à d’autres concerts en extérieur, à côté des différents ateliers, sur les scènes Flamingo et Mosquito -ce qui a toujours plus de gueule et confère infiniment plus de capital sympathie qu’une scène à marque de bière.
Swans/Thee Oh Sees : le choc des civilisations
On est mis directement dans l’ambiance, puisque Swans a été déplacé du club à la salle. Lorsqu’on croisera plus tard les gars de Ought venus se la coller sur le set de Shamir, Tim Beeler, le chanteur longiligne à cou d’autruche nous confessera : »c’est toujours étrange de jouer en même temps que le plus grand groupe du monde ». Un plus tôt, Michael Gira ne faillait effectivement pas à la réputation de son groupe. Avec l’assurance tranquille de ceux qui surplombent le reste de la programmation, dans un mysticisme macabre fait de volutes déclamatoires, le monstre Swans a impressionné. Il faut dire que voir la formation en concert est une expérience qui prend aux tripes et cloue au sol. Mastodonte scénique et visuel, le concert des cinq musiciens nous plonge dans une transe de plomb. Deux heures de show, c’est le minimum syndical que doit accorder Swans pour atteindre cet état d’exaltation chamanique, ce radicalisme tout en confrontation et communion mêlés.
En fait, les mecs de Swans sont de gros rigolos © Lule
Au début, le public semble un peu se demander ce qu’il se passe, puis il suffit d’entamer A Little God In My Hands pour que la machine hypnotique fonctionne à plein régime. Les musiciens font peur. Tous semblent sortis d’un épisode de True Detective, en particulier Thor Harris, au trombone et au xylophone, torse nu, et dont les airs de redneck patibulaire lui donnent une allure assez grotesque. Sur la droite, Norman Westberg, osseux et cagneux, semble avoir une tige de fer plantée dans son corps noueux, qui le fait tenir tout seul debout tel un piquet. Pendant le concert, on aura l’impression que le musicien ne jouera que la même note. C’est d’ailleurs le credo de Swans, dont la musique s’appuie toujours sur le même registre, les mêmes plans et les mêmes accords, jusqu’à la transe et l’oubli de soi. Michael Gira disait que Swans jouait jusqu’à ses propres limites, dans la volonté d’épuiser ses forces pour voir ce qui se cache derrière, comme un marathonien. Le public suit, et bientôt entre dans un état mental proche du néant, où seuls subsistent les corps flottants, aidés en cela par les mantras proférés par le prêcheur Gira, saisissants d’effroi. Ce soir, il n’y a pas de restriction sur le volume sonore, et le groupe peut ainsi libre cours à sa cavalcade débridée.
Groupe opposé dans les intentions mais tout aussi essentiel, Thee Oh Sees serait l’antithèse salutaire de la formation de Michael Gira. Si Swans en appelle à une extase inquiète, tendue et sépulcrale où rôdent des odeurs de sexe et de mort, Thee Oh Sees offre de toutes autres réjouissances, tout en misant lui aussi sur l’étirement des morceaux. Mais si la musique de Swans amène à une certaine forme d’introspection, Thee Oh Sees est quant à lui purement dans la démonstration –de force, de jeu. Un des party bands les plus excitants de la planète aujourd’hui, le groupe offre ce qu’il y a de plus explosif en matière de garage échevelé et extériorisant.
John Dwyer a probablement digéré des influences aussi disparates que le krautrock, le rock psychédélique, la proto-techno primitive (voir en ce sens son projet parallèle Damaged Bug, réjouissant hommage bricolo et ludique aux pionniers psychédélico-électroniques Silver Apples), le garage-punk, le rhythm’n’blues, voire le stoner, ce qui donne à l’arrivée le rock’n’roll le plus racé qui soit ; loin, très loin de l’utilisation d’antiquaire poussiéreux que peuvent en faire ses ambassadeurs proclamés aujourd’hui (on ne citera personne, car on est des gens bien élevés). Ce soir, avec deux batteurs et un personnel renouvelé, Thee Oh Sees prouve plus que jamais que le live est son terrain de prédilection. D’ailleurs, la salle de Paloma devient petit à petit un chaudron, où tout le monde bouge, pogote et s’agite frénétiquement. « It’s an oldie but a goodie », introduit John Dwyer avant de jouer Contraption/Soul Desert. La dernière chanson du concert est allongée au maximum, et on se surprend à retrouver l’état de suspens induit par Swans quelques heures plus tôt : cette fois, pas de morbidité ni de désolation dans l’air néanmoins, l’esprit est à la danse et la fureur de la fête.
Ambiance hippie et jeunes filles en fleurs ©ZélieLab
Entre temps, on aura été prendre l’air dehors, et apprécié le psychédélisme pop Birkenstock de Caribou et ses odeurs de kale et de gluten free grillé (ou peut-être que c’était les food trucks bio). Un peu plus tôt, l’acid poppeux hipster Dan Deacon aura pas mal tabassé, le fou farfelu de Baltimore faisant participer activement le public comme à son habitude.
Ariel Pink/Foxygen : arnaque magique contre imposture cheap
Commencer par une soirée aussi relevée entrainera forcément un côté déceptif pour la suite, mais cette douce décroissance ne sera pas désagréable aux yeux et aux oreilles, la bière, le manque de sommeil et autres douceurs nous plongeant dans une agréable indolence rêveuse. Un état d’esprit complètement personnifié par le concert de Twerps le lendemain. Le groupe de Melbourne s’excusera plusieurs fois de sonner négligé, car il aura fait la fête très tard dans la nuit. Il n’empêche : le cadre, avec le soleil qui-se-couche-mais-pas-trop, est idéal pour illustrer leur musique invitant à la paresse et à la langueur.
http://www.dailymotion.com/video/x2sasry
Juste avant, Aquaserge aura prouvé sa valeur de grand groupe français, situé dans un espace temps où Soft Machine avait droit de citer.
On retourne dehors, prendre le pouls de la grande scène. Débarque alors le roi des weirdos, le maitre incontesté des trolleurs en tous genres : Ariel Pink. Le natif de Los Angeles, qui pousse régulièrement le concept de foutage de gueule jusqu’à en faire un art à part entière, fait partie de ces types hybrides, un peu escroc, un peu génie, un peu cinglé. Il ne jouera ce soir que des chansons issues de son dernier (double) album pom pom.
On regarde la scène, qui ressemble à une cour des miracles actualisée : le trublion pop s’est entouré de la plus belle brochette de ravagés qu’il a pu dénicher, avec un batteur torse nu en chapka et des musiciens plus laids les uns que les autres. Le son est assez dégueulasse, la guitare principale est beaucoup trop forte, mais cela n’enlève en rien le caractère dézingué (au contraire) de la musique du freak Pink, planté là sans sourciller et déroulant son programme de pioche avec l’assurance et le je-m’en-foutisme de celui qui sait que ses formidables chansons braques, et la présentation qui va avec, se suffisent amplement à elles-mêmes. On finit avec Not Enough Violence, sommet de son dernier album (et de sa discographie ?), massacrée évidemment. Pas besoin de forcer dans le fantasque, tout est là.
Ariel Pink © Marie Meletopoulos
Tout le contraire du concert tout en mise en scène de Foxygen le lendemain, où le chanteur Sam French en rajoutera des caisses dans l’outrance et l’emphase rock’n’roll en faisant une fixette sur Mick Jagger. Si la musique d’Ariel Pink a fait sienne l’éloge de la redite et de la citation, allant piocher dans tous les clichés et formes d’expressions rock, pop et variétoche (du meilleur jusqu’au plus mauvais goût) afin de les pervertir et d’établir la notion de bizarrerie en norme absolue, ses compatriotes s’échinent à reproduire des formules éculées, et forcent tellement le trait de l’extravagance que ça en devient presque grossier. A l’image d’Ariel Pink, tout respire le pastiche, mais sans aucune incarnation chez eux. Vous l’aurez compris : weirdo vs weirdo, capiteux contre crapoteux, notre camp est vite choisi.
Après avoir observé de loin Divine Comedy et Sun Kil Moon (et s’être ravitaillés en bières), on jettera un coup d’œil distrait aux jeunes pousses françaises Grand Blanc et Bagarre, programmés côté à côté, l’un dans le club, l’autre dans la salle. La deuxième soirée se terminera dans la joie et la bonne humeur d’un Juan MacLean qu’on avait un peu perdu de vue ces dernières années. Si les derniers albums d’un des chefs de file de l’écurie DFA ont un peu du mal à chauffer le public au début (avec A Simple Design qui surnage néanmoins), c’est surtout avec les premiers amours que l’on se prendra au jeu. Give Me Every Little Thing et surtout Happy House clôtureront la soirée de manière étincelante. Juan MacLean n’est jamais aussi bon que lorsqu’il étend, distend et distord son groove et en fait une folie disco communicative. La transe, toujours.
Postillons et coups de mous
« Johnny Borrell fucks off to an island for four months at the height of his fame, he made a massively bad calculation, the thick cunt ». Difficile de dire qu’avec de telles paroles les Sleaford Mods ramènent la lutte des classes au centre des débats de leur spoken word acide teinté de saillies punk. Pourtant, tout le monde semble les ramener continuellement dans le giron de considérations sociales, alors que leur musique représente une extériorisation absurde, irréfléchie de leurs frustrations. En somme, il n’y a pas de programme chez le groupe. Déplacé du club à la grande salle, le duo s’accommode de l’espace alloué, alors que leur musique, pense-t-on pourtant, serait peu amène aux espaces non confinés. Il n’en est rien : armé de son débit-mitraillette, Jason Williamson canarde l’assistance avec des textes plus abscons les uns que les autres ; on n’y comprend pas grand chose, ça va beaucoup trop vite et c’est rempli de particularismes locaux qu’on ne maitrise absolument pas.
Pas grave, la gestuelle corporelle (aidée en cela par de grands coups de postillons) se charge de transmettre le sentiment d’aliénation éructé par un type à bedaine – qu’on imagine pleine de nerfs et de bile. A ses côtés, Andrew Fearn, beatmaker et responsable des instrus, se contente d’appuyer sur play et de lancer un backing track en se sifflant des bières. C’est simplissime et tellement réduit au strict minimum, que ça représente une sorte de pied de nez à ceux qui accusent la musique live de se reposer sur des boucles pré-enregistrées : Sleaford Mods en prend le contre pied dans la surenchère ironique, et c’est génial. Certes, c’est extrêmement répétitif, uni-dimensionnel et lancé dans sur des rails qui ne dévient jamais, mais le résultat est si viscéral et intense qu’on a l’impression de se prendre un coup de poing de trois quarts d’heure dans la figure. Jusqu’ici, on se sera rendu compte que les concerts les plus frénétiques et fiévreux auront été assurés par des types avec au moins 40 ans au compteur, ce qui remet tout de même en question pas mal de principes inhérents à l’idée de rock’n’roll (jeunisme, longévité, endurance, etc…) Tweet Tweet Tweet, qui finit le concert, ressemble étrangement à une chanson de Cheveu. Parfait.
On enchaine ensuite sur The Soft Moon (et tant pis pour Viet Cong, qui joue au même moment), qui ajoutera encore dans l’aigreur, mais cette fois-ci de manière beaucoup plus ronde, dansante et synthétique. Le chanteur Luis Vasquez se chargera même un moment de taper sur un bidon en fer, chaque musicien s’employant à cogner sur quelque chose au même moment (pad, batterie, bidon), donnant au show de The Soft Moon des reflets industriels, habillant sa ferveur post-punk de teintes sombres et métalliques. On croisera plus tard le leader, complètement bourré : toujours marrant de voir le contraste entre le musicien torturé sur scène (« take me far away, to escape myself », aaaah) et le joyeux drille en dehors.
http://www.dailymotion.com/video/x2sawl6
Par opposition aux vieux pleins de sève que sont Thee Oh Sees, Swans ou Sleaford Mods, il faut tout de même signaler l’écueil inverse : les blasés qui n’ont plus grand chose à faire là. Plaies de tous les festivals (même les meilleurs), ils manquent de jus, d’envie, de nerf et de combativité, et la seule raison pour laquelle on les invite à se produire encore sont les lauriers sur lesquels ils se reposent depuis maintenant de trop longues années. Si Thurston Moore, lors du premier soir, n’aura pas totalement démérité (avec un concert plus qu’honnête), difficile de ne pas penser que son nouveau « supergroupe » représente une sorte de Sonic Youth de fin de carrière, avec encore moins de vigueur. Mais l’effet « escargot mort dans le pantalon » prendra toute sa mesure avec Interpol.
Les cinq Américains, aussi conquérants que les Républicains, nous auront servi une soupe indigeste avec un enthousiasme et un rythme sénatoriaux. Les morceaux de Turn On The Bright Lights, essai inaugural apparu au début des années 2000, auront bien de peine à nous sortir d’une torpeur engourdissante. Pas grave, Allah-Las tentera d’apporter une réponse de Normand à ces réflexions sans âge : parfaitement anachronique et archaïque, leur rock psychédélique aux accents surf et byrdsiens achèvera pourtant le festival sur des airs de sable chaud, les couronnes de fleurs se prêtant parfaitement à l’ambiance. Pas de doute, ces types-là viennent de Californie (en 1967, pour être plus précis).
A suivre demain, une interview avec Christian Allex, co-directeur artistique de la salle Paloma, et co-programmateur de Tinals.
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