J’ai voulu être pilote de chasse jusqu’à 15-16 ans. Et puis le père d’un copain avait un camion et traversait le désert : ça me plaisait bien. Je dois encore avoir ça en sous-couche dans mes rêves. A 15 ans, j’ai manifesté le désir de prendre des cours de guitare, mais je me suis fait […]
J’ai voulu être pilote de chasse jusqu’à 15-16 ans. Et puis le père d’un copain avait un camion et traversait le désert : ça me plaisait bien. Je dois encore avoir ça en sous-couche dans mes rêves. A 15 ans, j’ai manifesté le désir de prendre des cours de guitare, mais je me suis fait jeter par mes parents. Ce n’est qu’à 20 ans que je me suis payé ma première guitare avec une méthode, et j’ai appris tout seul. Il a fallu que je sois adulte pour prendre les choses en mains : je suis issu d’un milieu où on file droit, où on ferme sa gueule.
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Vous vous souvenez des premiers disques que vous avez achetés ?
Oui, ça a fait un scandale dans la famille. J’avais une cousine qui se mariait. Ma mère avait donné du pognon à mon père pour me descendre le samedi après-midi à Clermont-Ferrand acheter une veste et un pantalon. J’ai fait une embrouille : je suis allé dans un magasin de disques, et avec l’argent du pantalon ou de la veste, j’ai acheté Tupelo blues de John Lee Hooker, un Janis Joplin et le premier Taj Mahal.
Pourquoi ces trois-là ?
En troisième, j’ai rencontré un prof d’anglais avec qui j’ai beaucoup sympathisé. J’allais le soir faire mes devoirs chez lui. Il était homosexuel, mais il ne s’est jamais rien passé. Il était d’enfer comme mec. Il m’a un peu pris sous sa coupe. Il était arménien, orphelin, récupéré à Marseille par un régiment américain. Il était un peu devenu la mascotte du régiment. A la libération, ils l’avaient emmené aux Etats-Unis où il était resté vingt ans. Là, il était devenu pote avec des gens comme Louis Armstrong. C’était un vrai révolté, d’extrême gauche. Il faisait un an dans chaque bahut. Les gens déposaient une plainte pour qu’il soit viré. J’ai pu en profiter pendant une année scolaire, et là, il m’a tout fait écouter, de Charlie Parker au rhythm’n’blues. Pendant que je faisais mes devoirs, il passait et il m’expliquait : là c’est Coltrane, écoute bien la batterie, il me faisait lire des chroniques de jazz dans Le Monde, etc.
Seulement de la musique ?
Non, il m’a ouvert à tout. C’est lui par exemple qui m’a fait lire Gide. Corydon quand même, et ça n’a alerté personne, à commencer par moi ! L’avoir rencontré est une chance énorme, un miracle, et je me demande ce que je serais devenu sans lui. Je lui ai écrit une très longue lettre qui m’a pris deux mois. En gros, je lui disais qu’il m’avait fait, alors que j’avais beaucoup de mal à imaginer ce qu’il y avait ailleurs que dans cette vallée de La Bourboule. D’un seul coup, il est arrivé avec des musiques, des bouquins, de la peinture. C’était un vrai pédagogue. Aujourd’hui, il est mort.
Vous vous êtes approprié tout son héritage, ou il y a des choses que vous avez laissées de côté ?
Il n’y avait rien à jeter. Il m’a emmené à des concerts de Memphis Slim, de John Lee Hooker justement, de T. Bone Walker. Grâce à lui, j’étais backstage, on allait bouffer avec eux au resto. Il me faisait même préparer des questions. Je faisais des photos. Mon plus grand souvenir, c’est T. Bone Walker. Je me souviens avoir demandé à ce prof « Mais pourquoi il a l’air aussi triste ? », et il m’a répondu « C’est parce qu’il a laissé sa femme là-bas. » Ça m’a beaucoup conditionné sur ce qu’était le blues. J’étais vraiment comme de l’argile fraîche.
Et le cinéma, vous l’avez découvert tout seul ?
Je suis un mec d’expériences. Par exemple, quand j’aimais le cinoche et que j’habitais à Paris, je tenais bien trois ou quatre films par jour, pas de blague. Je me faisais tous les Lubitsch, et après je passais à Tarkovski, comme un étudiant. Je n’ai pas fait d’études, donc je me mange des chapitres. Seulement le cinéma, je dirais pas que t’as vite fait le tour de la question, mais c’est quasiment mort comme art.
Pourquoi plus le cinéma que la musique ?
Parce que plus vieux et plus limité. Par exemple, je trouve que le cinéma n’est toujours pas émancipé de la littérature.
Ce qui devrait motiver pour aller plus loin.
En attendant, quand tu vois un Woody Allen ou quand tu penses à Bergman ou même Tarkovski, ou même aux narratifs comme Ford ou Kurosawa, c’est de l’architecture de roman de base du xixe. Même ceux qui veulent aller plus loin. Même Truffaut qui veut faire monts et merveilles, il finit par faire du Autant-Lara qui est du sous-Balzac. Mais bon, le cinéma, j’ai beaucoup donné. A mon arrivée à Paris, j’ai regardé dans l’annuaire les cinéastes qui y étaient. Il y avait Claude Sautet, je l’ai appelé, je suis tombé sur lui directement, on s’est vus, on parlait cinéma. J’ai écrit des papiers dans des revues de cinéma amateur. Maintenant, je ne vais voir que les films qui cartonnent.
Pourquoi ?
Pour travailler. Là, j’ai vu Gladiator. Je m’installe et je sais que je vais bosser pendant deux heures. Je refais la musique, je refais le montage, je recadre, je revois les dialogues. En général, je sors épuisé.
Et pourquoi ne pas tourner vous-même ?
J’ai fait des courts métrages, des clips, travaillé sur des scénars. Donc les chefs-d’ uvre, je ne vais même plus les voir. Je m’ennuie : il n’y a rien à faire. Tourner un long métrage ? C’est un métier de chien. Je suis très ami avec Claire Denis, et je vois qu’à la fin du travail, il n’y a pas beaucoup de satisfaction. Et puis, il faut bien choisir.
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