Après le décevant Anéantis, la passionnante Sarah Kane est à nouveau desservie par une mise en scène ratée et naïve. PHAEDRA’S LOVE de Sarah Kane, mise en scène de Renaud Cojo
Ça doit être la peur. Peur de laisser les mots proférer du dedans de l’acteur l’horreur qui nous entoure et peur de les voir lacérer illusions, bons sentiments, foi en l’homme, etc. Peur de laisser l’espace résonner… Chambre d’écho ou pas, caverne ou promontoire, peuplé ou dévasté. Certainement pas high-tech, en tout cas. Oui, c’est peut-être ça qui gêne dans ces mises en scène récentes de l’ uvre de Sarah Kane, celle de Louis-Do de Lencquesaing pour Anéantis au printemps dernier ou celle, aujourd’hui, de Renaud Cojo pour Phaedra’s love : cette surenchère technologique plaquée sur des paroles tranchantes, un réel obsédant et son lot d’expériences désespérantes.
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Des quatre pièces écrites par l’auteur avant son suicide en 1999, à 28 ans, Phaedra’s love est la seule à être une pièce de commande. « Le Gate Theater de Londres m’a proposé de chercher une tragédie grecque ou romaine, lit-on dans une interview avec Niels Taber. J’avais toujours détesté ces pièces où tout se passe hors scène et où les personnages ne font qu’entrer, sortir et parler, à quoi ça rime tout ça. (…) J’ai lu Phèdre et à ma grande surprise ça m’a intéressée. Il s’agit d’une famille royale sexuellement corrompue et de ce point de vue c’était absolument contemporain. (…) L’ Hippolyte de Sénèque, avec sa prétendue chasteté, sa pureté et son puritanisme, n’avait pas le moindre intérêt à mes yeux, alors qu’il s’agissait plutôt pour moi de mettre en valeur ce qu’il pouvait avoir d’attirant en le montrant sous un jour peu captivant mais aussi en retournant son puritanisme. Je voulais écrire sur une attitude dans la vie et non sur un style de vie. »
En fait, ce qui lui plaît chez Hippolyte, c’est la possibilité qu’il lui offre de traquer la vérité, même parée de mensonge. Dans la tragédie de Sénèque, Phèdre accuse son beau-fils Hippolyte de l’avoir violée quand elle apprend le retour de Thèbes, son royal époux. L’amour impossible de Phèdre pour Hippolyte mène à la trahison et à la mort. Sarah Kane retourne le gant de la vérité : Phèdre aime tant le nihilisme d’Hippolyte qu’elle lui offre son suicide ; ce dernier accepte d’être accusé et mis à mort. Il semble même qu’il s’agisse là du seul acte de sa vie. Avant cela, entre masturbation désabusée et visionnage de films à la télé, corps crasseux et langue pâteuse, le temps fait des grumeaux, obture le sablier d’une existence défaite. Malgré son intention de « débarrasser le théâtre de tout esthétisme où l’ambiguïté du réalisme n’aurait plus sa place », Renaud Cojo installe ses comédiens dans un décor propret où trône un écran vidéo qui parasite continûment l’action. Comment ne pas sourire devant la naïveté qui consiste à plaquer des scènes de mise à mort ou de crash de voitures au moment de l’orgasme ? Comment ne pas prendre pour une impardonnable facilité la scène filmée de l’exécution d’Hippolyte et de sa demi-s’ur après que la scène s’est hérissée à grands fracas de lances de fer ? Et comment sauver de ce pétrin le jeu magnifique de Claude Degliame/Phèdre qui en connaît un rayon sur son personnage qu’elle a interprété, seule en scène, il y a peu de temps et de Marie Vialle/Strophe, si peu crédibles dans leur passion qu’on marche à fond face à l’interprétation massive d’un Thierry Frémont/Hippolyte qui confond le dégoût avec l’indifférence ?
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