Contrairement à la veille avec ses Voidz, Julian Casablancas a tout explosé le samedi soir à Primavera. Normal, il jouait avec les Strokes. Si Mac DeMarco devient un poil agaçant avec ses facéties, John Dwyer de Thee Oh Sees a prouvé une fois de plus qu’il méritait le statut de génie ultime.
The Strokes, bi-couleur et combi rouge
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On espérait secrètement que Julian Casablancas abandonne sa panoplie de fan de Makina et retrouve l’allure du héros de notre adolescence (pour mémoire : slims, Converse) pour son concert avec les Strokes. Ç’eut été trop beau. Il débarque avec la même coupe mulet bicolore (rouge et jaune, un rapport avec le drapeau espagnol ?) qu’au concert de la veille avec ses Voidz, des lunettes transparentes à mi-chemin entre un Michou eighties et un mono de ski, vêtu, en prime, d’un maillot extérieur du Barça, jaune fluo, surmonté d’une veste en jean sans manches, le visage bouffi et la mine fatiguée. A sa gauche, Albert Hammond Jr. (un des seuls Strokes – avec Fabrizio Moretti- à qui il parlera pendant le concert) a osé la combinaison rouge. Heureusement, les autres l’ont joué sobre. Mais leurs délires stylistiques n’entament ni l’excitation du public, qui trépigne devant la scène près d’une heure avant le début du concert, ni la qualité maximale de leur prestation.
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Certes, les Strokes ne sont pas de grands bavards. Ils ne l’ont jamais été, et ne le seront sans doute jamais. Et après les bonnes blagouzes à la Bugs Bunny d’un DeMarco plus cartoonesque que jamais (voir plus bas), ça ne fait pas de mal. A peine le concert commencé (avec un peu de retard, staritude oblige) que les mines sont graves, les yeux baissés, la tension palpable. Mais les morceaux s’enchaînent avec énergie et élégance. Ça commence avec Machu Picchu et son incroyable riff de guitare, qui colle des sourires béats sur les lèvres des fans transis. Fans qui reprendront en chœur à peu près l’intégralité des morceaux balancés par Juju et ses potes plus d’une heure durant. Tous les tubes y passent (dont beaucoup de Is This It, et c’est tant mieux) : Someday, Is This It, Alone,Together, You Only Live Once, Reptilia, The Modern Age… Jusqu’à New York City Cops, hymne d’une génération biberonnée aux guitares frénétiques des New-Yorkais, dont le public crie les paroles avec une ferveur rageuse (« New York city cops, New York city cops, New York city cops, they ain’t too smaaaart »). Pas de plus belle façon de clôturer un concert d’ores et déjà culte, dont le souvenir devrait nous hanter les dix prochaines années. Le morceau bouclé, Casablancas et sa bande se cassent, sans un mot, et sans Fabrizio qui saute de scène pour aller serrer quelques mains dans le public, pépouze.
Mac DeMarco, héros des habitudes
Avant la nuit rouge des Strokes (la nouvelle couleur de cheveux de Julian était très bien assortie aux éclairages hier soir), Mac DeMarco s’était chargé d’accompagner l’avant-dernier crépuscule du mois de mai. Programmé en 2013 à l’autre bout du festival, sur la scène Pitchfork, le Canadien bénéficie aujourd’hui des honneurs de la grosse scène Heineken. Corporate et déconneur, le mec offrira même une fausse pub inespérée à la marque hollandaise en singeant la surprise en découvrant une « canette de sa marque de bière préférée » posée juste devant lui sur l’estrade. Si aisance et bonne humeur manifeste sont toujours au rendez-vous des concerts de DeMarco, la routine des tournées lui impose depuis bien longtemps déjà un scénario prévisible exécuté sans grande variation. Mac est toujours aussi détendu, il discute avec le public, enchaîne les tubes de ses trois albums et parvient même à assumer des risques stylistiques à forte tendance « Casablanquienne ». Personne n’avait osé porté une telle salopette camouflage depuis Mister T sur le tournage de l’Agence Tous Risques en 1987.
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Comme toujours, le bassiste distribue ses meilleures grimaces aux caméras avant d’assurer le spectacle sur la fin de Rock And Roll Night Club et d’entonner un hymne FM pendant que Mac répare sa corde de guitare. Corde qui a bizarrement tendance à se péter au même moment lors de chaque concert (coucou la Route du Rock 2014). Comparée au concert barcelonais de 2013, l’ambiance dans le public est nettement moins chaude: conséquence directe du parcage VIP situé dans les premiers rangs des grosses scènes. Du coup la jeunesse de Primavera se déchaîne d’un peu plus loin et il faut attendre les conneries hallucinées du nouveau guitariste pour relever la saveur du concert. Vous pouvez d’ailleurs écouter son groupe perso en cliquant ici ou en essayant de taper Tonstartssbandht sans faire de faute dans Google. Les festivaliers qui découvrent le spectacle pour la première fois sont ravis, les autres s’impatientent de découvrir une nouvelle formule, relevée par les morceaux du mini-album à paraître cet été. Sinon, comme vous vous en doutez, Mac a évidemment slamé sur Together histoire de terminer le travail, et, contrairement à Montréal 2013, il est parvenu à sauver sa paire de Vans en balançant sa chaussure droite sur scène au moment où un fan l’agrippait la bave aux lèvres. Beau réflexe, celle-ci ne finira pas sur Ebay.
Foxygen avait la meilleure substance
Le concert ovni du festival. Personne n’a rien compris à la structure des morceaux, complètement désarticulés de leur version studio. Et c’était finalement très bien comme ça. Entre James Brown, Ariel Pink et le David Bowie des années 80, le leader a su trouver une correspondance inattendue pour livrer une prestation performative qui fera date et dont il ne devrait se souvenir qu’à moitié. Tout est parti très (trop ?) fort lors des deux premiers morceaux avec des danses de taré imprimées à la vitesse de la lumière et plusieurs visites décadentes dans la fosse, sous l’œil dubitatif des vigiles. Les mecs n’avaient sans doute jamais vu un squelette humain se déplacer aussi rapidement et porter aussi bien le costume patte d’éph. Parmi la liste (non exhaustive) des grands moments du show : Sam France s’est fracassé sur le sol à plusieurs reprises avant de perdre son micro une bonne demi douzaine de fois et d’avaler un cul sec de bourbon d’une profondeur abyssale. En revanche , la partie de jeu de cartes « improvisée» sur scène avec ses musiciens paraissait bien moins naturelle et indispensable. Tout comme la reprise express de Let it Be et l’hommage narquois destiné aux Beatles. Clairement, si ce concert avait eu lieu à l’envers il aurait été l’un des meilleurs de l’année 2015. Mais pour Sam France, l’énergie semble venir du désordre et il s’agit d’un atout inestimable pour créer la surprise et l’addiction. Et du même coup, nous empêcher d’aller voir Daphni programmé à la même heure mais forcément incapable de rivaliser avec tant d’excitation et de déchaînement substantiel.
John Dwyer, légende vivante
Il ne faut pas se fier à la sveltesse des jambes de John Dwyer. La légende vivante du garage a dépassé les quarante piges l’an dernier mais il a donné la leçon de rock du festival. Avec autant d’idées que de projets annexes, autant d’éclairs dans ses guitares que de classe dans le flux tendu de ses concerts, l’âme de Thee Oh Sees a confirmé qu’il était le seul mec au monde à pouvoir incarner tous les courants les plus raides de la discipline. Punk et psychédélique, noise et alternatif, expérimental et rarement pop : Dwyer semble avoir mille groupes dans le coffre. Et il y avait bien besoin de deux batteries pour rivaliser avec les lames de son sorties de ses guitares. Un concert en deux parties, d’abord viscéral grâce aux son de sa douze cordes transpirante. Puis déchaîné, quand la six cordes transparente a pris le relai pour aliéner les premiers rangs de la scène ATP dans une fusion électrique d’une intensité déconcertante. Après son triomphe à Villette Sonique, John Dwyer a réglé tout le monde à Barcelone. Et validé de manière spectaculaire les belles santés de Patti Smith, Sleater-Kinney ou encore Ride. Dernière preuve, s’il en fallait, qu’en 2015 à Primavera, le rock était une musique jeune jouée par des vieux.
Histoire de bien brûler nos dernières forces physiques, on décide de faire un petit détour, sur le chemin du retour, par la scène Ray-Ban (la meilleure du festival en terme de son et de visibilité) où joue Caribou, une valeur plus que sûre. Alors qu’une plante ressemblant à du papyrus flotte dans les airs de manière hallucinée, en lieu et place du traditionnel drapeau breton, le Canadien Dan Snaith, cerveau du projet, encadré d’un guitariste, d’un bassiste et d’un batteur, navigue entre l’organique et l’électronique, en fin mathématicien (qu’il a étudié à Toronto). La foule, très dense, s’agite dans la fosse et dans les gradins de cette scène en forme d’amphithéâtre, dont la théâtralité colle parfaitement à la beauté des petites bombes de Caribou. Entendre Odessa (qui file à certains les mêmes frissons que l’écoute de Happy dans un rayon de supermarché, mais que, pour notre part, nous trouvons sublime) résonner dans la nuit noire barcelonaise à l’odeur marine, n’a tout simplement pas de prix.
Par Azzedine Fall et Carole Boinet
Les vidéos intégrales des concerts du festival sont disponibles sur Arte Concert.
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