Chez les Anglais du label Output, l’éclectisme est de rigueur. Ici, hip-hop, post-rock et électronique déjantée se croisent pour mieux se féconder, le tout sous la houlette de Trevor Jackson, producteur et musicien émérite, qui a su donner à la diversité une identité de bon goût.
Output n’est pas un label. Ou plutôt, Output est un label qui n’a rien à voir avec l’idée que l’on se fait des maisons de disques, majors et indépendants confondus. A y regarder de plus près, la baraque Output ressemblerait plutôt à l’une de ces structures nées avec la nouvelle économie et qui répondent à l’appellation doucement poétique de « pépinière d’entreprises ». Le principe ? Enfantin : encadrer l’éclosion de jeunes poussins, tout dévoués à leur affaire, futurs requins radieux du marketing et de la finance tous azimuts. Output, au premier abord, ressemble à ça : dans ses couloirs, on croise une flopée d’artistes en herbe, préoccupés par leur musique, forcément différente de celle du voisin de catalogue. Ici, l’éclectisme est le principe souverain, qui dicte toute la philosophie de la maison. Celle-ci est dirigée par Trevor Jackson, alias The Underdog, graphiste et musicien trentenaire, notamment repéré comme remixeur patenté et pertinent d’une kyrielle de stars plus ou moins décalées, depuis Run DMC jusqu’à Massive Attack, en passant par Lisa Germano, Ganger ou Death In Vegas.
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Figure incontournable du hip-hop anglais, Jackson a fondé Output en réaction à « l’étroitesse d’esprit du hip-hop anglais » et pose d’emblée son projet dans le camp des non alignés et non affiliés. « Je n’ai jamais eu l’impression d’être lié à une tendance musicale spécifique. J’ai grandi en écoutant Can, Soft Machine, Ian Carr, New Order, Human League, Soft Cell, Kraftwerk, ce qui m’a mené d’abord vers Afrika Bambaataa, ensuite vers le hip-hop. Au moment de lancer Output, en 1996, j’ai eu le sentiment que les gens se mettaient à diversifier leurs goûts : une même personne pouvait acheter tout à la fois des disques de post-rock, de hip-hop et de drum’n’bass. L’idée m’est alors venue de créer un label qui regroupe toute cette diversité de styles et de goûts. »
Au-delà de l’intention de départ, Output n’a rien d’une auberge espagnole, anarchique à souhait. Bien au contraire, la maison possède une identité forte, fondée sur la récurrence, d’un disque à l’autre, de signes distinctifs : ainsi, le logo de la maison, tout en formes concentriques, se décline sur chaque nouvelle livraison. De fait, l’attrait premier pour le label vient souvent des pochettes, cartes postales minimalistes et intrigantes, qui mêlent les gros plans démesurés de gouttelettes d’eau aux monochromes les plus austères. Mieux qu’un label, Output se pose en véritable charte graphique, à la manière des Factory et autres 4AD. « L’identité d’Output est une non-identité. Il existe en Angleterre deux écoles graphiques musicales : d’un côté les pattes léchées de Vaughn Oliver de 4AD ou Peter Savill chez Factory et de l’autre, le style très débordant de Designers Republic ou Swifty. En tant que graphiste, je ne voulais ni de l’une ni de l’autre : mon unique souci était de sortir des disques, dans des sacs plastiques, avec des pochettes toutes simples. Les gens ont cru y déceler une sorte de geste artistique très prétentieux, alors que c’était le contraire. »
Dès ses premières années, le label est assimilé aux jeunes friches post-rockeuses du groupe Fridge et de son appendice Four Tet. Normal : Trevor Jackson a été le premier à s’intéresser à cette formation, qui a bénéficié de tout son savoir-faire et squatté allégrement une bonne partie du catalogue, avant de lâcher l’affaire, au profit de la major Go Beat!. En un sens, le départ de Fridge, d’abord vécu comme un coup dur personnel, a permis à Jackson de renouveler son poulailler, en misant sur d’autres talents prometteurs. Parmi ceux-là, il faut distinguer en premier lieu le duo 7-Hurtz, auteur d’une musique électronique aux sons antiques, amoureusement prélevés sur des machines de musée, un peu froides, un peu mal fagotées. Ces deux bonhommes-là élèvent leur musique à coups de mélodies cafardeuses, robotiques mais unijambistes, subtilisées du côté de New Order et passées à la moulinette d’un Sun Ra, modèle avoué de toutes les expérimentations analogiques qui hantent leur premier album, le bien nommé Audiophiliac. Timide et discret, ce disque ne dévoile ses charmes qu’avec précaution, une fois l’attention bien détournée, les sillons passablement usés. Tout à coup, on se retrouve dans un monde parallèle, hérité de Walt Disney mais reformaté à la sauce new-wave : ici, Mickey Mouse, ce vieux pervers, se prostitue dans les couloirs sombres du Cabaret Voltaire.
Parallèlement à l’electro biscornue de 7-Hurtz, Trevor Jackson a permis l’éclosion de Sonovac, duo arty qui commet une musique aux relents ludiques et chaotiques, tour à tour drôle et macabre, héritière synthétique et épileptique des Flying Lizards et de Lee Perry.
Les disques de Sonovac se suivent sans jamais se ressembler : reprises des Cramps, symphonies abstraites et hermétiques, comptines pour plagistes décoiffés, bandes-son pour expositions imaginaires… Comme si la schizophrénie était l’unique mode de vie.
Sonovac se décline d’ailleurs sous la forme de SoftVerge, mutation parallèle qui redéfinit l’écriture électronique dub en y mêlant des fragments de house décharnée et sombre.
Cela dit, Output ne se contente pas de porter à maturité ses artistes. Le label est aussi un moyen pour Jackson de donner davantage de visibilité à certains de ses coups de c’ur, comme les Français Black Strobe ou LB. Le premier est une collaboration funky-house entre Zend Avesta et Ivan Smagghe, sortie par ici en catimini, et qui va bénéficier d’un traitement de faveur : les artistes maison ont été priés de se fendre d’une reprise d’un morceau signé Black Strobe, histoire de passer outre l’exercice fastidieux du remix. LB, alias Señor Coconut, est, quant à lui, l’auteur de Pop artificielle, album de reprises synthétiques de classiques signés James Brown ou David Bowie (on lui doit aussi un extraordinaire album de reprises latines de Kraftwerk).
Aujourd’hui, après quelques années d’indépendance, Output vient de rentrer dans le giron de Source, sous-label de Virgin, et Trevor Jackson est confronté à la question épineuse du développement de ses artistes et de son label. « Jusqu’à récemment, je faisais tout depuis ma chambre. Aujourd’hui, je ne suis plus seul à m’occuper du label, mais j’ignore si j’ai envie de passer à l’étape au-dessus, de jouer ce jeu-là. Pourtant, il faut mettre à profit le potentiel du label. Ce qui est assez effrayant : cela implique davantage de travail et, peut-être, la perte de la pureté de ce qui a été accompli. Output est mon histoire d’amour, et la voir s’émanciper me fait peur. »
Les vicissitudes économiques n’entravent pourtant en rien toute l’ardeur du bonhomme dont la foi artistique jouit d’un perpétuel renouvellement : « Ecouter de la musique électronique un peu barrée semble être à la mode ces temps-ci. Pourtant, j’en ai un peu assez de cette musique-là, un peu trop facile à faire. J’ai envie d’écouter des choses plus vivantes, comme Missy Elliott ! J’ai envie de m’éclater ! En un sens, le groupe idéal serait Talking Heads, toujours prêt à expérimenter tout en demeurant accessible et capable d’écrire d’excellentes chansons. De toute façon, la musique est un univers qui évolue sans cesse : bientôt, plus personne ne voudra acheter de disques. J’en profiterai pour faire vivre Output sur Internet. Je pourrai enfin faire de l’animation et des films : ce sera bien plus excitant qu’une vieille pochette en carton, non ? »
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