Divine surprise : très attendu, le troisième volet de la série de jeux de rôle « The Witcher » est encore plus réussi que prévu. Avec ce titre aussi riche que plastiquement éblouissant, le studio polonais CD Projekt RED se hisse au niveau des plus grands.
Ne nous faites pas confiance. Ne nous croyez pas aveuglément, nous qui aimons tant The Witcher 3, quand nous vous expliquons que c’est pour son univers médiéval-fantastique, son souffle héroïque et les affrontements barbares qui, des dizaines d’heures durant, rythment sa grande aventure riche en rebondissements. Tout cela est en partie vrai, bien sûr, mais c’est quelque chose de plus direct et plus profond à la fois qui rend si précieux le jeu de rôle du studio polonais CD Projekt RED : sa lumière.
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Pas ses éclairages, non – ce serait une vision bien trop technique, presque vulgaire de la question – mais, plus simplement, ce rayon de soleil sur la plaine, ces reflets à la surface d’un cours d’eau ou bien la nuit qui tombe paisiblement sur ce village et les champs qui l’entourent. Et puis il y a le vent, qui fait danser les arbres alors qu’on traverse la campagne à cheval. Le joueur n’y sera pas forcément sensible de manière absolument consciente mais tout cela forme une dimension essentielle de l’expérience. La grande affaire, ici, c’est d’être au monde, à ce monde, avec tout ce que cela implique d’évidence et de complexité mêlées. Du côté des développeurs, cela passe par un art subtil du paysage – vivant, vibrant, habité. Mais, évidemment, pas seulement.
A 12h17, il pleut sur le chemin qui nous mène au château du baron sanglant. A 0h46, un autre jour, il neige. Cette fois, on fait route vers un puits qui, nous assure-t-on, est hanté par un démon. On apprendra que ce dernier est en réalité un « spectre de midi », c’est-à-dire l’esprit d’une jeune femme, « décédée de mort violente à la veille de son mariage ». C’est plutôt triste et assez beau. L’affrontement est âpre et sans pitié. A ce moment-là, il pleut.
Un bon équilibre entre jeu ouvert et progression est savamment encadrée
Inspiré de l’œuvre du romancier polonais Andrzej Sapkowski, The Witcher 3 nous met dans la peau de Geralt de Riv, « sorceleur » balafré aux cheveux blancs qui est une sorte de chasseur de primes parcourant les terres à la recherche des monstres qu’on lui demande de tuer. Assez vite, il se lance sur les traces de Ciri, sa fille adoptive qui a disparu. Mais ce n’est que le début d’un voyage aussi riche que passionnant et qui réservera au joueur une multitude d’activités d’une folle variété – d’autant que les quêtes secondaires, pas toujours transcendantes dans les RPG, sont ici particulièrement soignées.
Le jeu vidéo moderne oscille entre deux pôles. D’un côté, les mondes ouverts, vastes mais parfois un peu vides et comme indifférents au joueur (avec des éléments dupliqués, des missions routinières, des décors qu’on ne touche qu’avec les yeux…). De l’autre, les espaces plus peuplés mais aussi plus étriqués au sein desquels la progression est savamment encadrée. Par une sorte de miracle qui tient autant à sa qualité d’écriture qu’à sa maîtrise de l’espace, The Witcher 3, qui semble l’œuvre conjointe d’un poète, d’un peintre et d’un cartographe, navigue élégamment entre ces deux extrêmes sans jamais donner le sentiment de faire le moindre compromis.
C’est un jeu de rôle occidental (Skyrim, disons) qui aurait retenu les leçons de l’action-aventure à la japonaise (on pense à Zelda, et même, ô joie entrecoupée de frissons émus, à Majora’s Mask pour son art de la micro-fiction sentimentalo-cérébrale et son travail sur le temps). A moins que ce ne soit le contraire, mais peu importe. Qu’on se le dise : le grand jeu de rôle du premier semestre 2015 ne vient ni d’outre-Atlantique (de Bioware, Bethesda, Obsidian…) ni du pays du Soleil Levant mais de Pologne, et il se moque bien de suivre assidûment une école ou une autre. La sienne est plutôt buissonnière – on ne se lassera pas de sitôt des jolis buissons en question.
The Witcher 3 est également un western (qui, ce n’est pas rien, soutient fièrement la comparaison avec Red Dead Redemption), et pas seulement parce qu’on s’y déplace à cheval, éventuellement au soleil couchant. De manière plus décisive, c’est la combinaison de sa mise en scène des différents territoires, de sa vision des communautés qui les investissent et des rapports que notre sorceleur solitaire entretient avec elles qui le rapproche du genre. La vraie mission de notre héros (et du même coup la nôtre) : apprendre les histoires de ces peuples, y compris en les « lisant » sur le sol ou les murs de leurs maisons (grâce à son petit pouvoir spécial d’enquêteur mutant) et, ce faisant, s’engager toujours plus dans ce monde romanesque et changeant, alternativement cruel et doux, violent et attachant, contradictoire et beau et d’autant plus beau qu’il regorge de contradictions. Beau comme cette lumière qui nous appelle, nous enveloppe, nous réveille.
The Witcher 3 : Wild Hunt (CD Projekt RED / Bandai Namco), sur PS4, Xbox One et PC, de 45 à 60 €
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