En quinze ans, les tentatives de hip-hop britannique ont trop souvent incité à revenir au rap US. Incapables de s’adapter au climat et à la culture locale, ces graines américaines ne donnèrent que de maigres récoltes. Le salut passera par une jeune génération issue de l’underground et promise à un bel avenir émancipé.
Là où l’Angleterre a toujours réussi à bonifier les genres musicaux nés outre-Atlantique, le hip-hop semble définitivement résister à une absorption dans sa culture musicale. Pourtant, ce ne sont pas les artistes qui ont manqué depuis dix ans, la presse musicale anglaise n’oubliant pas de nous présenter chaque année son nouvel étendard du hip-hop. Las, même si l’album ne manquait pas d’attirer l’attention, il provoquait irrémédiablement une déception. La plus grande lacune serait à chercher du côté des voix. « Nous n’avons pas d’équivalent à vos IAM ou vos MC Solaar, explique Trevor Jackson, alias The Underdog, producteur et patron du label electro Output. A part Roots Manuva et quelques autres, l’Angleterre possède très peu de bons vocalistes. Evidemment, elle a d’excellents producteurs. Le trip-hop a été inventé à cause de ça : les producteurs n’avaient pas de bon MC et du coup, ils ont réalisé des instrumentaux. Si Geoff Barrow avait déniché un bon MC, il ne se serait jamais retrouvé dans Portishead mais dans un groupe de rap. » Pourtant, dès la fin des années 80, le hip-hop britannique montrait des velléités à s’installer dans le pays de Maggie Thatcher. Les noms de Faze One, de Derek B, d’Overlord X ou de London Posse faisaient alors résonner leur flow insulaire. Liverpool voit naître les Ruthless Rap Assassins, réponse aux Niggers With Attitude de Los Angeles. Du coup, les majors britanniques s’intéressent au phénomène et commencent à signer des espoirs au début des années 90. Au premier album de Definition Of Sound (Love and life, en 1991, qui laisse entrevoir un futur A Tribe Called Quest british) succède la déception de ses disques suivants. Seuls les Stereo MC’s acquièrent un potentiel international, avant de s’embourber dans les mauvaises vibrations. Parmi les épiphénomènes, retenons le collectif Outlaw Posse qui, sous le nom de Brothers Like Outlaws, sortit en 1992 un album réjouissant, le sous-estimé The Oneness of II minds in unison, dans la mouvance De La Soul. La renommée du duo Dodge City Productions (Steppin’ up & out, 1993) n’aura même pas franchi le cercle familial, en dépit de ses samples inspirés.
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Même l’album de The Brotherhood (Elementalz, 1996) ne dérogera pas à cette règle. Jusque-là, admettons-le, les tentatives britanniques n’ont pas encore su s’affranchir du joug américain. A l’exception notable de MC Tunes, petite frappe de Manchester qui martèle son hip-hop de l’Angleterre sidérurgique sur une musique programmée par les électroniciens de 808 State. Ça s’appelait The North at its heights, « Le Nord à son sommet » et on ne contredira pas ce titre.
A défaut d’imposer des artistes, le hip-hop aura apporté sa contribution aux nouveaux genres musicaux de l’île. On le repère à la trace sur le label Talkin’ Loud avec les albums des Young Disciples, Galliano et surtout Marxman ainsi que Urban Species. La série de compilations Rebirth of cool donne un bon aperçu de la collusion qui s’instaure entre la scène acid-jazz et le hip-hop, collusion à son apogée sur l’album Heavy rhyme experience des Brand New Heavies, qui convie, entre autres rappeurs américains, Main Source, Gang Starr et Pharcyde à une grande fiesta live.
Le hip-hop s’abat aussi sur la région de Bristol. Premiers irradiés, Nellee Hooper et Jazzie B, gourous du collectif Soul 2 Soul, auxquels toute la scène trip-hop et new-soul peut élever un autel. On trouve encore trace de l’influence de leurs deux premiers albums chez Morcheeba, Santessa et autres Moloko. Massive Attack convertit l’influence Soul 2 Soul en trip-hop grâce à un phrasé qui emprunte plus souvent au hip-hop qu’à la northern soul, une musique qui sample et qui scratche, une démarche ouverte et son organisation en collectif. Au passage, on les remerciera aussi d’avoir signé sur leur label Melankolic l’un des meilleurs MC britanniques, Lewis Parker. Pour en finir avec Bristol, le plus hip-hop des groupes locaux avait pour nom Earthling, disparu après un album.
Côté énergie, c’est peut-être la drum’n’bass qui correspond le plus à ce qu’un authentique hip-hop britannique aurait pu dégager. Ce n’est donc pas une surprise de retrouver le vétéran hip-hop Silvah Bullet se commettre autant dans la drum’n’bass de Johnny L (sur Magnetic) que dans l’abstract hip-hop de DJ Cam (sur The Beat assassinated).
Après tant d’années de contribution à la richesse musicale nationale, le hip-hop britannique semble aujourd’hui décidé à renouer avec les racines du genre. Ce retour aux sources passe par une nouvelle scène underground décomplexée. On citera bien sûr les rappeurs soul du label Grand Central de Manchester (Rae & Christian, Aim, Only Child…), mais aussi le label Jazz Fudge, sur lequel s’illustrent DJ Vadim et Mark B, ou encore l’extraordinaire voix de Roots Manuva qu’un public plus large a pu découvrir sur le deuxième album de Leftfield. La compilation Word lab, du label Word Play, donne un bon aperçu du potentiel de ces nouvelles pousses (dont les excellents MSI & Asylum ou Numskullz de Bristol), auxquelles il convient d’ajouter UK Kartel et surtout les Creators, auteurs d’un nouvel album (The Weight) qui accueille Mos Def et Talib Kweli parmi les invités et qui aurait très bien pu être l’ uvre de jeunes prodiges de Queens ou de Brooklyn. Une comparaison flatteuse mais qui démontre bien que le hip-hop britannique doit encore se forger sa propre identité.
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