Patrick Grant vient d’être élu créateur de l’année en Angleterre avec son petit label E. Tautz, et attend des Britanniques qu’ils abandonnent jean et T-shirt.
« Je n’ai jamais autant travaillé et je n’ai jamais été aussi pâle qu’en 2010. J’ai dû bosser cent heures par semaine en moyenne et je n’ai pris que cinq jours de vacances. Bêtement, je suis allé les passer dans l’ouest de l’Ecosse. La région est magnifique mais on n’en revient pas avec un teint hâlé.
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E. Tautz est une très vieille maison, créée en 1867 par Edward Tautz, un tailleur exceptionnel. Mais elle est restée en sommeil pendant près de quarante ans. Nous ne l’avons relancée que l’an dernier, c’est donc une marque jeune et microscopique. Nous sommes quatre à y travailler : un modéliste, un responsable de la production, un responsable des ventes, et moi.
C’est de l’artisanat, même pour choisir les magasins dans lesquels nous sommes distribués. En 2009, nous avons ciblé Harrods et avons tout fait pour y être distribués. En 2010, nous avons écrit deux noms sur un bout de papier – Barneys et Selfridges – et ça y est, nous y sommes. Nous n’avons pas les moyens de mener des études comparatives entre les magasins, de tester les endroits, nous faisons tout au feeling.
En ce moment, nous nous intéressons à Paris. Où être distribué ? Bon Marché ou Printemps ? Colette est probablement trop cool pour nous. Old England, trop classique. Nous en discutons entre nous, nous en parlons à des gens du milieu et j’irai sans doute sur place en janvier. A ce stade de notre développement, c’est le genre de décision cruciale.
Nous choisissons les tissus de nos collections avec grand soin. Tous viennent d’Angleterre, à une exception près : celui que nous utilisons pour nos pochettes est français. Nos vêtements sont exclusivement confectionnés en Grande-Bretagne, selon les méthodes les plus traditionnelles.
Dans l’habillement masculin, il y a en ce moment une véritable demande pour des produits de cette qualité, faits dans les règles de l’art, avec de belles matières. J’ai une théorie sur le sujet : l’acte d’achat s’étant largement dématérialisé, les gens achetant désormais leurs vêtements sur internet sans les toucher, je pense qu’ils ont besoin de valeurs sûres. Ils achètent des pièces dont ils sont certains de la qualité.
Depuis des années, le style masculin s’est effondré en Angleterre. Le T-shirt-jean est devenu la norme, le « casual Friday » s’est banalisé. Aujourd’hui, on vous montre du doigt si vous vous habillez de façon élégante, c’est à pleurer. J’ai le sentiment que ce déclin a commencé à la fin du règne de George VI, en 1952.
Depuis, même si le prince Charles fait admirablement son travail, les Anglais n’ont plus un roi vers qui se tourner pour savoir ce qu’ils doivent porter. Ils sont perdus.
Je sens le début d’une réaction, d’une résurgence stylistique. Il y a un mouvement en faveur d’une mode d’aspect classique mais subtilement moderne, notamment grâce au travail sur les coupes. Les mecs qui portent des fringues E. Tautz s’intéressent à la mode mais n’ont pas envie de s’habiller comme des minets extravagants, androgynes ou prétentieux. Ils veulent de la subtilité. Ils ont compris qu’on pouvait être cool dans un costume pourvu qu’il soit bien coupé et que les détails soient justes.
Dans ce sens, une série comme Mad Men joue un rôle important. Bien s’habiller, ce n’est pas un truc de vieux. Dans la boutique, je reçois des gars de 25 ans qui font attention à chaque détail, qui coordonnent leur ceinture à leurs chaussures mais n’ont l’air ni précieux ni maniérés. Ils sont simplement élégants.
Je ne m’attendais pas à recevoir le prix du créateur pour hommes de l’année. Face à des gars comme Paul Smith ou Christopher Bailey, de Burberrys, je pensais ne pas faire le poids. Mais c’est un vrai honneur. Nous sommes encore dans la période où nous devons faire connaître la marque et ce prix va nous y aider. Si en 2011 nous pouvons jouer un petit rôle dans la résurgence de l’élégance masculine anglaise, ce sera encore une bonne année. »
Marc Beaugé
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