Le Festival du cinéma nordique de Rouen vous invite en tant que cinéaste néerlandais : avez-vous été influencé par le cinéma de votre pays d’origine ? Je suis né en 1938, donc non seulement à cette époque on ne voyait pas de films à la télévision, mais encore mon pays d’origine, les Pays-Bas, était occupé […]
Le Festival du cinéma nordique de Rouen vous invite en tant que cinéaste néerlandais : avez-vous été influencé par le cinéma de votre pays d’origine ?
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Je suis né en 1938, donc non seulement à cette époque on ne voyait pas de films à la télévision, mais encore mon pays d’origine, les Pays-Bas, était occupé par les Allemands, donc les cinémas étaient fermés. J’ai vu mes premiers films à 7 ans, à l’automne 1945, quand les Américains sont arrivés d’un seul coup avec toute la production hollywoodienne des années 30 et 40. Autant en emporte le vent, par exemple, qui a été tourné avant la guerre, n’est sorti qu’après en Hollande. L’industrie du cinéma européen était laminée à l’époque : les Américains avaient un boulevard. J’ai été forcément imprégné par ce cinéma-là, que ce soit Abbot & Costello, Laurel & Hardy, les westerns de John Ford, les films de pirates avec Errol Flyn, Burt Lancaster…
Quel est le film qui vous a le plus impressionné à cette époque ?
The War of the worlds de Byron Haskin, une invasion martienne inspirée d’un roman d’H. G.Wells, que j’ai vu à 15 ans, et dont Independence day est le remake. J’ai tellement aimé ce film bourré d’effets spéciaux que j’ai imaginé des suites que je dessinais sous forme de comic books. J’en ai dessiné des tas, mais aucun n’a jamais été publié. J’ai donc beaucoup été influencé par les films américains de série B.
Vous souvenez-vous du moment où vous avez compris que ces films étaient faits par un réalisateur ?
En 1955, mes parents m’ont envoyé un an en France, à Saint-Quentin. Là, un prof de français avait une petite cinémathèque et il m’a fait découvrir le concept de mise en scène. Il m’a montré tous les classiques : Eisenstein, Dreyer, Bergman, Renoir, Le Corbeau de Clouzot, … Au bout de trois mois de ce régime, je voulais devenir metteur en scène. Et à la fin de l’année, j’ai voulu passer le concours de l’Idhec, mais les inscriptions étaient closes. Je suis donc rentré à Amsterdam pour entamer de longues études de mathématiques avant de me faire rattraper par le désir d’être cinéaste. Là, je me suis mis à aller voir les films d’Alain Resnais, de Godard ou les premiers Fellini. Quant aux cinéastes hollandais proprement dits, les seuls que je sauve sont les documentaristes, Joris Ivens en tête.
On connaît votre goût pour les comic books…
J’en ai lu beaucoup, en particulier la production belge, pays limitrophe de la Hollande : Tintin, Spirou. Et puis les traductions américaines : Flash Gordon, Superman… J’en ai fait moi-même et on peut y voir une origine de mon cinéma avec le story-board comme passerelle. A l’époque, la BD avait d’ailleurs un côté story-board dont elle s’éloigne de plus en plus, ce qui est logique puisque de ce côté-là, elle ne pourra jamais rattraper le cinéma. La BD contemporaine est davantage picturale. La dernière que j’ai lue, c’est Les Passagers du vent de François Bourgeon : c’est très bon.
Vous avez cité plus haut Alain Resnais : il a souvent rendu hommage à la bande dessinée dans ses derniers films.
Je me suis arrêté aux premiers films de Resnais : Hiroshima mon amour et L’Année dernière à Marienbad. Ce dernier, pour moi, est un sommet artistique : le style, le montage, la répétition des mouvements…
De la BD, on peut passer à la peinture…
Au départ, je chérissais les surréalistes : Magritte, Delvaux, Picasso dans sa période surréaliste. Il m’a fallu trente ans pour réaliser que Monet avait été plus important que Dali. Dans les contemporains, j’aime beaucoup Edward Hopper. Pour la peinture hollandaise, ma période préférée est le xviie siècle, Rembrandt en tête.
Qu’écoutez-vous comme musique ?
De la musique classique. Stravinsky est l’artiste que j’admire le plus : la large palette de registres qu’il a explorés, l’élégance de son style, l’économie de l’orchestration, sa capacité à n’être jamais dans la démonstration, dans l’émotion forcée. Il a toujours été à l’avant-garde, ce qui lui a été beaucoup reproché de son vivant. Evidemment, aujourd’hui, il fait partie de la culture officielle, mais quand il a présenté Le Sacre du printemps à Paris, c’était très provocateur.
Et vous n’écoutez pas de choses plus contemporaines ?
J’écoute du rock mais j’aurais du mal à dire que ça compte pour moi. Le dernier groupe que j’ai trouvé marquant était Nirvana, mais la plupart ne durent pas plus d’un ou deux ans. Honnêtement, je préfère réécouter mes vieux Bowie, Bryan Ferry ou Rolling Stone plutôt que le groupe du moment. Le dernier disque que j’aie acheté ? Les reprises par Bryan Ferry de standards des années 30.
Est-ce que vous êtes aussi réticent avec la littérature contemporaine ?
Je ne lis plus de romans. C’est trop ennuyeux. Je préfère lire des documents, des analyses politiques, des livres historiques, des biographies d’Hitler, de Churchill ou même de Bill Clinton. Je n’ai même pas lu le roman à partir duquel Starship troopers est adapté. J’ai décroché au bout de deux chapitres en pensant que si je continuais, je n’aurais plus envie de filmer cette histoire. Les grandes rencontres littéraires, je les ai faites il y a vingt ou trente ans avec Hemingway, Stendhal, Dostoïevski, Tolstoï… Pas Shakespeare ni Dickens. Je préfère Chandler et Dashiell Hammett, que j’envisage comme des artistes, bien qu’ils n’aient écrit que des romans policiers. Il ne faut pas que l’art devienne un devoir : si Shakespeare n’est pas pour moi, eh bien tant pis.
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Le Festival du cinéma nordique de Rouen vient de consacrer une rétrospective à l’ uvre de Paul Verhoeven. La programmation du festival est reprise à Paris, au cinéma Quartier latin, 9, rue Champollion dans le ve, jusqu’au 10 avril.
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