Physique et peu pudique, l’exposition Picasso érotique offre pourtant du sexe une représentation sage et conventionnelle.
Arts Un petit carré de sexe féminin, ou plutôt un rectangle, sur fond rouge. L’esquisse d’une fente et d’un bas-ventre surgissant d’une fenêtre découpée à même le carton de la couverture du catalogue de l’exposition Picasso érotique, comme on épie un corps au travers du trou d’une serrure. Mise en scène facile pour effet voyeur, un dessin anodin placé sur un piédestal, tout le contraire du sexe offert de L’Origine du monde de Courbet, avec ses plis de graisse et ses poils, tellement réaliste que l’un de ses célèbres propriétaires le dissimulait chez lui derrière un rideau. Astuce de maquette qui semble bien résumer les intentions de la rétrospective thématique accueillie par le Jeu-de-Paume à Paris : émoustiller à peu de frais et réunir deux thématiques vendeuses en un même projet d’exposition : Picasso et le sexe. Comme il eut été un peu cru d’en rester à cette appellation pour une exposition pensée et voulue pour le grand public, on en choisit une à la fois plus sobre et plus sensuelle : Picasso érotique. Titre physique, riche de promesses de désirs suscités et de plaisirs supposés… sans commune mesure avec la sagesse des dessins et tableaux présentés.
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Dans un texte admiratif, Jean-Jacques Lebel évoque la fascination de Picasso pour « l’obscénité radicale de l’autre ». Belle formule dont on cherchera en vain l’écho au fil des dessins et des tableaux exposés. Des corps de femmes, des seins et des culs de filles, presque toujours dans des bordels, des baisers et des étreintes, quelques sexes d’hommes (très peu), quelques cunnilingus, quelques anus. Une femme aux bas rayés se caresse, une « pisseuse » sourit, surprise par « deux vieillards », une longue brune écarte les jambes, deux femmes s’enlacent, un puceau prend une inconnue par l’arrière. Banales scènes de sexe et classiques représentations du corps. Ce Picasso érotique-là aime à montrer les effusions physiques et les langages corporels, s’offre une relecture coquine de l’histoire de l’art (l’hilarante série de Raphaël et la Fornarina), se régale d’un beau cul d’adolescente (les merveilleuses courbes de sa Salomé de 1905) mais semble finalement peu s’intéresser à la jouissance et au plaisir. Pas de sperme, peu d’orgasmes mais pléthore de tétons, de ventres et de vagins.
Un rapport au sexe réduit à sa gestuelle, sans mystère ni effroi. Représentations conventionnelles, hétérosexuelles, où il n’est jamais question de sexe émancipateur. Et lorsque deux femmes s’attouchent, la scène semble toujours se dérouler pour le plaisir d’un œil masculin. Dans les salles, le public se presse autour des beaux dessins figuratifs, sans trop s’attarder sur les grandes toiles de femmes destructurées et géométriques des années 30, curieusement hors sujet tant elles traitent du corps, de ses représentations, et non de l’érotisme. Naît ainsi la désagréable sensation d’assister à une efficace opération marketing (il y a foule au Jeu-de-Paume), sous couvert de montrer de belles uvres. Comme si la thématique du sexe ne pouvait être abordée qu’au regard de l’ uvre d’une incontestable figure du siècle.
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Jusqu’au 20 mai au Jeu-de-Paume, 1, place de la Concorde, Paris VIIIe, tél. : 01.42.60.69.69.
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