En 1974, Michel Journiac passait 24 heures dans la peau d’une femme. Critique implacable d’une société moraliste.
Quarante-huit clichés qui représentent la vie parfaitement rythmée d’une femme accomplissant des tâches ménagères du lever au coucher. Jusqu’ici rien de bien extraordinaire. Pourtant sous les traits de cette femme de bonne famille et bien soumise, se cache un homme travesti : Michel Journiac, chef de file de l’art corporel français. Récusant le terme de performance pour celui plus concret d’action, Journiac est l’auteur de la célèbre Messe pour un corps réalisée en 1969 à la galerie Daniel Templon à Paris, où il a donné en communion une hostie de boudin cuisiné avec son propre sang. Explication de l’artiste, ancien séminariste : « La messe est le moment de la transformation du pain en chair et du vin en sang, or, en France, le seul moyen de consommer du sang, c’est en boudin. »
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En exposant les originaux des 24 heures de la vie d’une femme ordinaire, La Galerie, à Noisy-le-Sec, consacre aujourd’hui un hommage à l’artiste disparu en 1995. « Cette exposition répond à un manque, explique Vincent Labaume, critique d’art et ami de Journiac, car à ce jour il n’y a eu aucune grande exposition Michel Journiac dans les institutions. Or son uvre est traversée par un questionnement des représentations sociales et seule une rétrospective peut en rendre compte. » Présentée pour la première fois en 1974 à la galerie Stadler à Paris, la série des 24 heures… s’inspire des résultats d’un sondage réalisé dans la presse féminine portant sur la réalité laborieuse du quotidien des femmes et le clinquant de leurs fantasmes. Chacune des scènes photographiées s’accompagne d’une sentence originellement inscrite sous la prise de vue (« la télévision, l’attente, le lit, la naissance, la strip-teaseuse ») qui ont été hélas intégralement effacées par le temps.
Partant du corps, l’ uvre de Journiac met en péril les habitudes et le fonctionnement de la société. « De 1968 à 1978, souligne Vincent Labaume, son uvre est entièrement programmée : elle consiste en la déconstruction de ce qui entrave et conditionne le corps. Michel Journiac part de l’actualité pour faire une archéologie du vivre. » Marqué par Les Maîtres fous de Jean Rouch, un documentaire de 1954 où le cinéaste filme les colonisés de l’Afrique noire se mettant en transe pour déjouer les rites de leurs colonisateurs blancs et anglophones, l’artiste exploite la dimension plastique du rituel et du travestissement. Effectuant les prises de vue dans l’appartement cossu de ses parents, Journiac se travestit en bourgeoise anodine, mortellement classique, et utilise la photographie comme un simple constat de police, froid et sans grande valeur esthétique (on pense aux dernières séries photographiques de Natacha Lesueur exposées à la galerie Praz-Delavallade mettant en scène des vrais faux sévices corporels).
Collection d’images presque clichées, Les 24 heures…, replacé dans le contexte des années 70 pointe l’écueil d’une société moraliste : parmi les fantasmes, hormis classiques play-boys, trottoirs et putains, on retrouve les polémiques et subversives figures de l’avortement et de l’homosexualité féminine. Vingt ans plus tard, en 1994, Journiac atteint par le sida réactivera ses premières actions dont Les 24 heures… pour tester ce qu’il en reste d’opératoire. Le visage marqué, l’air mutin, l’artiste se plie au rituel de la vie d’une femme ordinaire.
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