Bernard Lenoir n’est plus là, mais le rock à la radio bouge encore, voire se déhanche comme un dératé. Panorama en quatre temps des émissions les plus électriques.
Septembre dernier sur France Culture. Pendant vingt jours, d’étranges fantômes réchappés des sixties et camés jusqu’aux yeux squattent l’antenne. L’écoute est toxique. Dans Les Rolling Stones racontés comme votre vie même, un feuilleton de François Bon, Marianne Faithfull se souvient de Brian Jones fiché au milieu de « deux énormes tournesols artificiels, un tambourin du Maroc, des lampes drapées de foulards », fixant « ses yeux vitreux de hasch (…) avec des yeux vides, des yeux de poisson ». Sur le divan, un Keith Richards « défoncé, artistiquement allongé en train de perfectionner une somptueuse indolence ». Vertige libertaire et séduction des mots.
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De la part de François Bon, une piqûre de rappel : autant que de postures, d’accords ou d’humeur sauvage, le rock est une affaire de Verbe. Le Verbe restaure les mythologies fanées et sublime les chapitres les plus sordides. D’où la symbiose historique entre le rock et la radio, cet ampli capable de diffuser dans le même flux le tremblement des guitares et la parole de ceux qui le commentent.
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En 2012, pourtant, l’époque n’est plus à la figure héroïque de stations rebelles à l’establishment. Le rock est une composante parmi d’autres dans un paysage musical décomposé, très fragmenté. Moins dynamiteur des moeurs, moins épouvantail social, il se contente de la variété des émissions et de la confrontation de leurs styles d’approche. À une extrémité du spectre sonore, Ouï FM tente de gérer le rock au quotidien. Courageux mais borduré par ses impératifs de commerciale : effervescence surjouée et play-list girouette. À l’autre bout des pratiques hertziennes, l’incorruptible obsession des associatives (Planet Claire sur Aligre) entretient la flamme. Quelque part au milieu flotte le bateau-amiral de Radio France. Projets éditoriaux confortables, budgets conséquents, du temps au temps. C’est d’elle que l’on attend les formes les plus diverses, les offres les plus maîtrisées.
Didier Varrod, un composé de ferveur juvénile et d’écriture précise
Sur France Inter, Didier Varrod réussit l’exploit quotidien d’inoculer un peu de fluide pop dans le corps tendu du 7-9. Suivant les jours, c’est « l’accent tonique floydien » de Tame Impala ou la « chanson victime de troubles bipolaires » de Lescop. Sa chronique de trois minutes est un composé de ferveur quasi juvénile et d’écriture précise, extraits à l’appui.Journaliste musical au long cours, Varrod ne s’écarte pas de ses principes : éviter la sécheresse de la fiche technique, le détail du making-of, pour toucher à l’os. Lui veut comprendre les enjeux créatifs du disque, souligner ses thèmes et ses postures, quitte à sonder la psychologie du musicien. Cet analyste concis, tout juste nommé à la direction de la programmation musicale d’Inter, ne craint pas de miser sur son style personnel.
« Je veux raconte une histoire, dit-il, sans gaver de références les auditeurs qui n’ont le matin même pas le temps de noter le nom du disque. »
Les fans de Bernard Lenoir, eux, ont eu vingt et un ans, en soirée sur France Inter, pour faire des listes. Aujourd’hui, ils sont rangés des stylos. Plus electro, l’Addictions de la virevoltante Laurence Pierre, sur la même station, ne revendique pas la filiation. Alors les lenoiriens envoient des mails laudateurs à France Musique et Vincent Théval, qui fait promettre qu’on n’en dira rien. Plus influencé par le seigneur biarrot, Vincent Théval livre avec son hebdo naissant Label pop un impeccable magazine d’actualité à la play-list triée sur le volet. Les interventions de cet ancien pigiste de Magic sont rédigées avec le soin d’un journaliste de presse écrite, cherchant l’équilibre entre le factuel et la subjectivité méticuleuse. Ce qui frappe à l’écoute de cet érudit accessible, c’est sa sobriété, confinant au retrait. Théval, c’est le post-passionné, l’émotif non déclaré : les vibrations, les vertiges pop sont intériorisés et infusent, gardés par-devers soi dans une maîtrise rare.
« Je ne suis pas là pour me mettre en avant, plutôt pour m’effacer derrière la musique. »
Face à ce sphinx aux grandes oreilles, Laura Leishman, c’est l’armée romaine qui assaille et engloutit tout ce qui bouge. Depuis 2009, dans son Project quotidien sur le Mouv’, la Canadienne sidère par son énergie et son appétit insatiable. À la fois incarnation du survoltage rock et figure du fan absolu. Sans jamais se lasser ? « J’ai mes réseaux, mes filtres. Et la force de me régénérer, je la trouve dans l’inspiration des musiciens. » Pop, rock, rap, electro, r’n’b, son Project est « un lieu de rassemblement pour passionnés » d’où elle balance sa rafale de shoots d’un ton couillu et drolatique. Pour cette enfant du grunge, de Napster et de MTV USA, pas besoin de dissertation pour faire passer le message : « L’essentiel, c’est le son. »
Tenir le micro d’une telle poigne, c’est pas Marianne Faithfull et ses potes chelous qui y seraient parvenus. Encore que…
Pascal Mouneyres
Article paru dans le numéro 886 des Inrockuptibles disponible en ligne ici
Encore un matin de Didier Varrod, tous les jours, 7 h 25, France Inter ; Label pop de Vincent Théval, chaque lundi, 22 h 30, France Musique ; Project de Laura Leishman, du lundi au vendredi, 22 h, Le Mouv’ ; Planet Claire chaque mercredi, 19 h 30, Aligre.
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