En cas de fin du monde imminente, il est conseillé de stocker vivres, armes, médicaments et shampoing deux-en-un. A posteriori, il est aussi recommandé de ne pas se faire remarquer pour ne pas attirer l’attention des zombies/nuages radioactifs/nazis. Facile à dire : la discrétion n’est pas la qualité première de l’abri antiatomique qui tient lieu […]
En cas de fin du monde imminente, il est conseillé de stocker vivres, armes, médicaments et shampoing deux-en-un. A posteriori, il est aussi recommandé de ne pas se faire remarquer pour ne pas attirer l’attention des zombies/nuages radioactifs/nazis. Facile à dire : la discrétion n’est pas la qualité première de l’abri antiatomique qui tient lieu de rendez-vous avec Sébastien Thoen en cette froide journée de novembre. Sur la place de la Bourse, c’est une belle pièce à vivre de huit mètres carrés (toilettes comprises) posée sur un semi-remorque qui s’offre à nous grâce à National Geographic – ici en pleine promo de sa série documentaire Familles Apocalypse, consacrée aux « survivalistes », qui croient la fin du monde proche et s’y préparent de manière quasi militaire. Vingt-cinq tonnes de béton armé sur lequel a été taggué le nuclear symbol, bref, un endroit cosy pour parler du prochain volet d’Action Discrète consacré, oh surprise, à la fin du monde.
Pour ce volet de cinquante-deux minutes, l’équipe est allée à Bugarach, dans l’Aude, cette toute petite partie de l’Hexagone censée survivre à la fin du monde prévue pour le 21 décembre.
« Ça nous arrangeait que ce soit pas trop loin parce qu’on n’avait pas beaucoup de budget : tout est pour le foot et le Grand Journal à Canal », annonce Sébastien Thoen, aux manettes du programme depuis 2006.
Cette année, l’émission quitte sa case hebdo du dimanche pour prendre de l’ampleur avec des formats longs, axés sur un sujet fort pour explorer et « si possible, inventer de l’actu » en mêlant caméras cachées et parodies bien senties. Dans cette perspective, « l’étrange énigme du mystérieux village paranormal de Bugarach » s’impose comme un magnifique écho à tous ces reportages des chaînes de la TNT où les adjectifs qui font peur pullulent mais où il ne se passe jamais rien – si ce n’est des gens filmés de dos ou des mouvements de lampe de poche dans la nuit.
Les denrées proposées donnent moyennement envie de survivre
Tranquillou, assis dans l’abri éclairé par dynamo, Sébastien Thoen raconte : « Là-bas, on s’est fait passer pour une équipe de journalistes qui voulaient ramener le meilleur docu sur la fin du monde. Mais une fois sur place, à part cinq illuminés, dix hippies et trois sophrologues qui nous racontent qu’il y a sûrement des ovnis dans la montagne et que les Mayas n’avaient probablement pas tort, tous les autres nous disent d’arrêter ces conneries et qu’il n’y a jamais rien eu ici. » Résultat : alors qu’il ne se passe rien, reste cette obligation impérieuse à laquelle tout journaliste télé est confronté quotidiennement : « faire des images, montrer des choses ».
Outre les traditionnels screenshots destinés à zoomer sur un truc indéfini et ultrapixellisé, la petite bande prend les choses en amont et choisit de « créer des événements ». Un parti pris qui passe notamment par la projection de toutes sortes d’objets (assiettes en plastique, passoire, peluche Alf) derrière le dos de locaux interviewés ou par un excellent déguisement de « petit être de la nature » lors d’une visite initiatique en forêt.
Dans notre bunker parisien, l’ambiance, elle, est moins bucolique. Sur l’étagère en Formica qui fait face à six couchettes superposées, les denrées qui nous sont proposées (Régilait, énormes conserves de repas complets type pommes de terre en sauce, Ovomaltine et gelée orange à boire) donnent moyennement envie de survivre. À la sympathique hôtesse ici présente et vêtue d’une fort peu saillante combinaison orange en plastique, Sébastien Thoen demande légitimement : « Tu peux pas mettre des Délichoc et du Tropicana comme tout le monde ? », et finit par nous confier que la chose à laquelle il faut aujourd’hui se préparer, c’est surtout « Jean-François Copé en 2017 ». L’angoisse, la vraie.
Diane Lisarelli
Article paru dans le numéro 887 des Inrockuptibles disponible en kiosque et en ligne ici