Dans le journal municipal de Béziers, l’actrice et chanteuse Louane Emera est présentée comme une « Lolita de souche », pour mieux véhiculer une certaine idée de « la France d’avant ».
A Béziers, les idées politiques de l’équipe dirigeante s’insinuent jusque dans les pages culture du journal municipal. Preuve en est l’article consacré à Louane Emera, héroïne de la comédie à succès (7 millions d’entrées) La Famille Bélier. Présentée comme une « Lolita de souche« , l’actrice et chanteuse, qui s’appelle en réalité Anne Peichert prend soin de le souligner l’article (anonyme), a « tout pour appâter le nostalgique des années heureuses« .
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Outre ses nombreux clins d’œil graveleux (« légèrement voûtée, juste comme il faut, le regard clair, la lolita fait le job« ), le portrait véhicule une certaine idée de « la France d’avant », « où personne n »avait besoin de parler sans cesse de « vivre ensemble » et où on n’avait pas besoin de débattre sur les repas de substitution à la cantine de l’école« . Un vocabulaire loin d’être choisi au hasard, comme le note Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême-droite:
« En utilisant cette jeune femme et en la qualifiant de « Française de souche », la municipalité cherche à perpétuer l’idée que notre organisation sociale dépend de l’origine ethnique des individus. Il s’agit de faire intégrer aux spectateurs que l’ethnicité est un élément discriminant pour interpréter le réel. »
Toujours dans la même rubrique, le journal loue le livre d’un historien relatant le bombardement de Hambourg par les Alliés en 1943. Et recommande La Quatrième dimension, une série TV datant des années 1960, qui permet de « redécouvrir avec délectation l’Amérique d’autrefois, où des femmes élégantes côtoient des vieillards polis, où les hommes à chapeaux conversent avec des flics austères », où « les immenses bagnoles roulent au pas dans les lotissements bien proprets de la classe moyenne blanche. » La vision fantasmée de Béziers par Robert Ménard et son équipe?
Une politique de fermeté
Le reste de ce numéro daté du 15 mai est à l’avenant. Le dossier principal, consacré à la défense des statistiques ethniques, interdites en France, vise à justifier le fichage d’écoliers de la ville en fonction de leur confession. Une pratique révélée par Robert Ménard lui-même sur le plateau de Mots croisés le 4 mai dernier:
“Pardon de vous dire que le maire a, classe par classe, les noms des enfants. Je sais que j’ai pas le droit de le faire. Pardon de vous dire que les prénoms disent les confessions. À part de nier une évidence…”
http://www.youtube.com/watch?t=4992&v=wDeAY2eQj3s
Robert Ménard avait par la suite assuré ne pas avoir explicitement évoqué de « fichage » d’élèves. Pourtant, en revenant sur la méthode via laquelle il est parvenu à obtenir le pourcentage d’écoliers musulmans scolarisés dans sa ville (64,6%), évoqué lors de l’émission, le journal de Béziers justifie en creux le recours à des statistiques ethniques:
« Toutes les mairies de France détiennent une liste nominative des enfants par école maternelle et primaire. La plupart des maires de France voient passer cette liste sur leur bureau au hasard de réunions sur la rentrée scolaire ou la mise en place des rythmes scolaires. Il est vraisemblable que certains de ces maires ont la curiosité de parcourir cette liste et d’en tirer des conlusions [sic] quant au pourcentage d’enfants issus de l’immigration dans certains quartiers. »
Suit un dossier élogieux concernant « la politique de fermeté menée par Robert Ménard« , qui rappelle au passage, en gros et en gras, que la police municipale est disponible « 7/7 jours, 24/24 heures« . En illustration: la photo d’un policier, crâne rasé, de dos, interpellant un jeune homme masqué, cagoule rabattue sur la tête, l’air agressif. Ambiance.
Quelques pages plus loin vient un article en apparence léger,consacré aux « bateaux [qui] reviennent à Béziers« . Le sujet s’avère en définitive n’être qu’un prétexte pour mieux saluer le recul de l’insécurité:
« Le cauchemar est terminé: Robert Ménard a inauguré la nouvelle halte batelière, entièrement équipée et surveillée régulièrement par la police. Les bateaux peuvent de nouveau s’arrêter chez nous! »
Pas de délinquant en photo cette fois-ci mais une jeune femme tout sourire, casquette de marin vissée sur la tête, une bouée autour du cou. Une certaine image de « la France d’avant ».
Du rouge, du noir, du jaune
Élu à la mairie de Béziers en 2014 avec le soutien du FN, Robert Ménard ne cache pas ses liens idéologiques et politiques avec le Bloc identitaire, mouvement d’extrême droite régionaliste et ethno-différencialiste. Il a d’ailleurs recruté au sein de son cabinet un ancien membre du bureau directeur du Bloc, Christophe Pacotte, ainsi qu’André-Yves Beck, passé par la mouvance nationaliste-révolutionnaire (Troisième Voie, Nouvelle Résistance puis Unité radicale), et ancien directeur de com’ du député-maire d’Orange Jacques Bompard (anciennement FN). Pour Nicolas Lebourg, le parallèle entre l’un et l’autre est d’ailleurs très clair:
« On trouve chez les deux un même populisme localiste assumé. Quand il s’opposait à Jean-Marie Le Pen au sein du FN, Jacques Bompard avait défendu des positons proches de celles des Identitaires, en mettant l’accent sur le fait que l’individu existe dans la communauté en tant que société fermée et homogène. »
Loin de se limiter aux Identitaires, Robert Ménard ratisse large. « Ses positions lui permettent de réunir toutes les droites, des radicaux aux modérés : sécurité, identité, libéralisme économique. Il assèche tout l’espace possible à son profit. » analyse Nicolas Lebourg. Une stratégie qui passe, entre autres, par le journal municipal, dont la nouvelle ligne éditoriale rappelle le ton et les préoccupations des communiqués du Bloc.
Pour autant, d’un strict point de vue graphique, Zvonimir Novak, auteur de Tricolores: une histoire visuelle de la droite et de l’extrême-droite, rapprocherait plus le Journal de Béziers de « Choc », une revue tenue dans les années 80 par d’ancien de l’OAS, que des parutions du Bloc.
« »Le Choc » fonctionnait aussi sur le spectaculaire, avec des titres-choc en jaune, des images excessives, qui font peur, une chromatique rouge et noir très forte, très prenante ».
Pour lui, le journal de Béziers, comme « Le Choc » avant lui, s’inscrivent dans « une tradition poujadiste de provocation ». En Une du dernier numéro, le buste de Marianne s’affiche sur fond rouge. « 64%: La République ne doit plus cacher les chiffres! » s’étalent en lettres jaunes et blanches sur un fond rouge et un bandeau noir. Du rouge, du jaune, du noir.
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